Eparpillées dans diverses salles nantaises, les projections faisaient le grand écart entre denrées rares, avant-premières des « sensations » cannoises (Love de Gaspar Noé, Mia Madre de Nanni Moretti, Gaz de France de Benoît Forgeard) et classiques increvables (French Connection, L’Exorciste, Le Corniaud, Rabbi Jacob…). Mais c’est surtout au Concorde, aux fauteuils de cuir plus-moelleux-tu-meurs, que se déroulaient les séances les plus alléchantes. Jean-Pierre Léaud, parrain malgré lui de SoFilm dont il fit l’une des premières couvertures, y présentait Masculin, Féminin avec Chantal Goya (les deux ne s’étaient pas revus depuis la bagatelle d’un demi-siècle), et Le départ de Skolimovski, sublime déflagration burlesque et mélancolique datée de 1967 et récemment ressorti dans les salles françaises. On a pu revoir aussi Cockfighter, dans une rare copie 35mm. Quoique un peu surestimé, le film reste l’un des pivots de la filmographie de Hellman, dessinant à partir d’un canevas classique de cinéma sudiste le portrait en creux d’une Amérique paupérisée, pas si loin du Portugal dépeint par Gomes dans le troisième volet de ses Mille et une Nuits.

La carte blanche offerte à Benoît Forgeard, après la diffusion de son premier long-métrage Gaz de France (dont la sortie en salles est prévue en décembre), faisait quant à elle la part belle aux anomalies du cinéma français. Outre le récent Notre-Dame des Hormones, de Bertrand Mandico, qui s’était vu attribué une mention spéciale au dernier festival de Brive, ou Steak de Quentin Dupieux, qu’on ne présente plus, Forgeard a ressorti du grenier Le Sucre de Jacques Rouffio, et surtout Paradis Pour Tous d’Alain Jessua, curiosité eighties qui arborait fièrement le défunt carré blanc lors de ses diffusions télé. Ce fut aussi le dernier rôle de Patrick Dewaere, qui se suicida avant la sortie du film. Cette tentative d’anticipation à la française, bide retentissant à sa sortie en 1982, dépeint une société futuriste dans laquelle le Dr Valois (Jacques Dutronc) a mis au point le « flashage », un traitement de choc pour soigner les dépressifs destiné à mettre fin à toutes les humeurs négatives : plus d’angoisse, plus de stress, plus d’émotion, plus d’empathie. Fraîchement « flashé », Dewaere y arbore un sourire béat en toutes circonstances, et fait preuve d’un cynisme sans entraves, résolu à supprimer toute personne qui interfère avec sa vision du bonheur. Les seconds rôles (Fanny Cottençon, Stéphane Audran, Jeanne Goupil, Philippe Léotard) sont savoureux, donnant lieu à des scènes d’anthologie (ah, la chorégraphie sur les pubs Lee Cooper et Végétaline !). Cette satire féroce de la société de consommation, qui anticipe de vingt ans notre ère aseptisée et autoritaire sous couvert de progrès, compte parmi les rares fleurons de la SF made in France. Il faudrait bien un jour réhabiliter Jessua, cinéaste français assez passionnant, qui signa aussi La Vie à l’Envers, chef d’œuvre méconnu dans lequel Charles Denner excelle en sociopathe glissant indiciblement vers la folie.

Autre perle rare, Zig-Zig, de Laszlo Szabo, était présenté par un Serge Bozon survolté. Catherine Deneuve (co-productrice du film) et Bernadette Lafont y incarnent deux danseuses de cabaret qui se prostituent dans l’optique de faire bâtir la maison de leurs rêves. Accident industriel comme seuls en recèlent les années 1970, le film oscille perpétuellement entre vaudeville graveleux et fulgurances tragico-poétiques, avec des seconds rôles tous plus barrés les uns que les autres : un barman féru de baston (Yves Afonso, en sosie improbable de Bébel), un flic retraité qui couve un œuf sous son aisselle (le fabuleux Hubert Deschamps), un commissaire moustachu atteint du ver solitaire, un guitariste de rock au look glam-rock (Jean-Pierre Kalfon), un travelo bigarré ou une cantatrice obèse…. Une somptueuse brochette d’excentriques en roue libre, coincés dans une faille spatio-temporelle entre la Nouvelle Vague, les films pré-punk de Marc’O (Les Idoles, La Nef des Fous) et le burlesque post-68 nanardeux, sur lequel Bozon ou Peretjako ont fait leur lit d’auteur.