Tim Burton est de ces créateurs qui, par la seule force de leur personnalité artistique, sont capables de tirer à eux des projets dont ils ne sont pas à l’origine les auteurs. C’était le cas pour Batman et plus encore pour l’inoubliable sequal qu’il engendra. The Legend of Sleepy Hollow de Washington Irving avait déjà donné lieu à un dessin animé Disney en 1949. Ironie du sort, le projet de Sleepy Hollow est proposé à un cinéaste qui, comme on le sait, a débuté chez Disney et s’y est rapidement senti à l’étroit. Que cette version de la légende du Cavalier sans tête soit « antidisneyenne » au possible, il fallait donc s’y attendre. Somptueusement anticlassique, acide et sulfureux bien qu’enchanteur, le style de Burton fonctionne à plein dans ce film chargé de références et pourtant très personnel, véritable consécration de son savoir-faire.

En 1799, Ichabod Crane (Johnny Depp), un policier new-yorkais, est envoyé à Sleepy Hollow, un village de la Nouvelle Angleterre, fondé par des colons néerlandais. Il a pour mission d’enquêter sur une série de meurtres mystérieux, dont les victimes ont toutes été retrouvées décapitées. Limier sceptique, aux méthodes scientifiques, il se frotte à la communauté locale, qui croit dur comme fer que les meurtres ont été commis par le Cavalier sans tête, le fantôme d’un mercenaire germanique sanguinaire ayant combattu pendant la guerre d’indépendance et venant réclamer son chef perdu lors d’une embuscade. Ichabod rencontre les Van Tassel, notables de la petite ville, et succombe au charme de Katrina (Christina Ricci), qu’il soupçonne néanmoins de pratiquer la sorcellerie. Les suspects se multiplient tandis que les meurtres se poursuivent…

Ce canevas romanesque, appartenant à Irving, le cinéaste l’a littéralement investi, entraînant un classique récit d’épouvante sur un terrain pleinement cinématographique. La variation sur l’étrange pouvoir des images intimes et effrayantes est mise en avant, comme Batman, le défi avait choisi de tout miser sur l’ambivalence de ces personnages, ou Edwards aux mains d’argent sur l’impact mythique de son héros. Sleepy Hollow vu par Burton devient une fable gore et œdipienne. Gore, puisque la série de décapitations est montrée sans complexe et que Burton s’offre avec un plaisir ludique une savante incursion dans le film d’horreur, citant ses plus beaux fleurons (Bava et Fisher). Œdipienne, puisque les horreurs dont Ichabod est témoin font resurgir chez lui le souvenir fondateur d’un crime atroce, lié à son enfance. Et c’est là que Burton tire à lui cette histoire en plaçant en son centre un noyau de sens qui lui donne une densité inattendue. Si le danger est réel, il est avant tout intérieur. Ichabod ne craint pas de combattre le dangereux fantôme, mais se retrouve tremblant dans son lit après un cauchemar. Il lui faut vaincre la peur des images, auxquelles il ne faut pas se fier car elles peuvent être un mauvais tour de magie, un simple effet d’optique. Comme le jouet qu’il manie à plusieurs reprises, ou comme les ombres projetées par une lanterne magique sur les murs. Images mouvantes et inquiétantes, prêtes à gagner la crédulité d’un enfant (d’autant plus qu’il a été le témoin d’horreurs bien réelles) : le vrai monstre est le sorcier qui les manipule.

Or, dans Sleepy Hollow, il y a un bon et un mauvais usage de la sorcellerie. Il y a de vrais coupables, dissimulés derrière le surnaturel et tous les artifices du film fantastique, qui ne sont convoqués que pour animer le drame de l’imaginaire et son cortège de malédictions. La splendeur du spectacle et le plaisir qu’il procure ne sauraient éclipser son sens : le jeu de la représentation et de ses « trucs » les plus savoureux se voile d’inquiétude et de mélancolie sceptique. La cruauté tant vantée dans les films d’horreur existe bien quelque part. Elle n’est pas le fait d’un cavalier fantôme -brillant rejeton d’une mécanique de la frayeur dont le film épuise les effets- mais dans l’ombre de la mémoire, dans les replis de l’âme romantique, dans tout ce qu’on a voulu faire croire aux enfants, avant de les envoyer se coucher avec la peur au ventre. Avec Sleepy Hollow, l’angoisse est enfin identifiée, l’horreur décryptée. C’est maintenant l’épouvante qui prend forme, et tandis que le rêve s’achève, le spectacle commence. On n’en perdra pas une miette.