L’ouverture de Simpatico, volontairement elliptique, repose sur l’opposition forte de deux acteurs à la stature imposante et comparable. Jeff Bridges est Lyle Carter, riche propriétaire d’un ranch du Kentucky, en pleine négociation pour la vente de l’un de ses chevaux. Vincent (Nick Nolte) traîne sa dégaine de clodo dans un bled de Californie. Vincent appelle Lyle au secours, lui assurant qu’il est poursuivi pour harcèlement sexuel. Lyle laisse tout en plan pour le rejoindre. L’un est en costume impeccable, conduit une berline et tripote ses Ray-Ban, l’autre, en imper cradingue, tète sa bouteille de bourbon dans la cabane qui lui sert de maison. Il y a un réel sens du timing, du suspens émotionnel dans ces premières scènes, où l’on ne sait presque rien des relations entre les deux hommes, sinon qu’ils ont été proches et se sont éloignés. Puis, peu à peu, par l’intermédiaire de vieux films super-8, de photos compromettantes et par une suite de flashes-back plus explicites, on comprend ce qui est arrivé. Et, vu les moyens déployés pour générer l’impatience, on est forcément un peu déçu.

Pourtant, la pièce de Sam Shepard offrait un nœud dramatique fort. Après une opération crapuleuse, deux amis aimant la même femme, ont été contraint de s’éloigner. Mais l’un d’eux -le « perdant » de l’affaire- entreprend de changer la donne et de permuter les rôles. Les thèmes profondément américains chers à Shepard sont présents : la jeunesse et l’amitié ne sont que les souvenirs d’un bonheur enfui, le rêve de réussite est brisé, déçu par l’âge et contrarié par le désir de possession et de confort. La vigueur, l’énergie et la beauté de cette Amérique rêvée se concentrent sur un symbole fort : l’étalon Simpatico, le « crack » élevé par Lyle, sur le point d’être vendu. Une beauté qui s’avère impuissante -et même mourante- étouffée par celui qui la possède. Tout comme Rosie (Sharon Stone), devenue la femme de Lyle, rongée par d’obscurs remords et qui dépérit dans la magnifique propriété de son mari.

Metteur en scène de théâtre, Matthew Warchus signe là sa première réalisation, avec beaucoup d’ambition et de bonnes intentions. S’il évite le piège de la théâtralité, il pèche par excès sur un plan strictement cinématographique. Sa réalisation, trop soignée, est encombrée par des effets de montage, des reconstitutions apprêtées (l’ambiance « pub Marlboro » des flash-back). A force de se concentrer sur l’accessoire, il donne l’impression de rater l’essentiel. Il ne tient jamais ses scènes jusqu’au bout, et s’en tire invariablement par d’agaçantes pirouettes de montage, dont l’effet anesthésiant sur le film est une leçon à retenir. Les acteurs finissent par se sentir mal à l’aise : le duo Bridges-Nolte, pourtant prometteur, ne sonne jamais juste, et la scène très « broadwayenne » de Sharon Stone, en beauté décatie, est à côté de la plaque. Albert Finney et Catherine Keener, tous deux excellents dans des seconds rôles, leur volent sans mal la vedette. Seules les scènes qui leur sont dédiées survivent à ce scénario trop compliqué qui, malgré un excellent point de départ, n’en finit pas de noyer le poisson. On rêve pourtant à ce que Kazan ou Huston auraient su tirer d’un tel sujet.