Après la joyeuse insouciance des années 90, le social a retrouvé une densité à Hollywood. L’Amérique de Bush est scannée sous toutes les coutures, des travailleurs paternalistes à l’ancienne (Piège de feu, SWAT) aux victimes du système (vétérans + afros = Un Crime dans la tête), en passant par les héros du régime (Armée, Jésus), les dandys progressistes (Palindrome) et autres éternels anars salvateurs (Waters). A droite, les films se fondent dans l’éloge d’un art de vivre, genre chronique d’une Amérique souriante et imperturbable à l’intérieur, virile à l’extérieur. A gauche, on montre une nouvelle guerre de Sécession, les quartiers qui s’épient et se craignent. Dans cette nomenklatura, Saved ! arrive comme un cheveu sur la soupe. A la fois chronique et critique, le film renoue avec le genre fraîchement désuet des carnets de bord de Christopher Guest (Bêtes de scène), l’incision en moins, l’opportunisme en plus.

Ce léger anachronisme n’est pas sans qualité. Le film emboîte le pas d’une jeune Jesus-addict dans un lycée fanatique. Lors d’un choc à la piscine, bel écho au Lauréat, elle est sommée par le Christ himself de recadrer la sexualité déviante de son petit ami en couchant avec lui. Pas de bol, la gamine tombe enceinte, réalise la bêtise du puritanisme et apprend par la même les délices de la transgression. Commence, on s’en doute, une marginalisation progressive, où l’ex-élève modèle est recueillie par une chipie rock’n’roll (et seule juive de la classe) et son boy-friend handicapé. Cloué au fauteuil, la blondeur maladive, c’est Macaulay Culkin, gentil blondinet sous Clinton, ici whitetrash impur qui signe un retour digne de Jean Roucas sur TF1. Sa présence, au lieu d’enflammer le film, démasque toutes ses limites. Plutôt qu’une ironie cinglante promise au départ : contre-emploi prévisible, rébellion de poubelle, ficelles banalisantes vendangées par une compassion star académique.

Le débutant Brian Dannelly n’a pas grand-chose du petit maître es méchanceté qu’on adorerait découvrir en lui. Désespérément gentil, trop bon, trop con. Son scénario réserve sans cesse aux personnages des portes de sortie, des justifications en tous genres. Du coup, point de mise à sac, rien qu’un timide chahut, piteux pendant bourgeois au bouseux Belles à mourir, inoubliable petit chef-d’oeuvre de ball-trap communautaire. Saved se fait autant arroseur qu’arrosé, critique un peu au début, tire à bout portant (l’introduction des personnages, pas mal niveau sécheresse) en revient enfin, comme pour se faire pardonner, à la tendresse amusée du portrait de groupe. La mise en scène atténue la furie de l’intrigue, pourtant bien présente sur le papier. On pense au bal de fin d’année, scène qui frôle l’orgiaque (les gentils décadents versus les méchants bigots), mais qui botte en touche, anesthésié par un consensus mou. Aux adultes, refuges consensuels au pays des caricatures, presque un film à eux seuls montrant une bigoterie moderne entre séduction au gymnase club, sourires charmeurs et look hyper cool. Critiquer son prochain ou l’honorer, il faudrait choisir. Et accessoirement, faire du cinéma.