La guerre en Irak traitée par Ken Loach, soit du point de vue de l’homme du peuple abusé par les puissants : il n’y a pas beaucoup plus que ça dans Route Irish. Un réquisitoire comme tant d’autres, qui se distingue tout de même par un angle d’attaque assez neuf – la privatisation du conflit. Le working-class hero est donc cette fois-ci un ancien mercenaire (ou « agent de sécurité », pour l’euphémisme de rigueur) plutôt sanguin, lancé dans une enquête sauvage sur la mort de son ami de vingt ans, lequel officiellement fut tué sur la dangereuse « Route Irish » de Bagdad. Voilà donc, importée d’Hollywood, la recette traditionnelle du pamphlet antimilitariste (épluchage du dossier à scandale sur fond de thriller tiré au cordeau) au service d’un bilan sur l’Angleterre post-Irak.

Hélas, le mélange des genres ne réussit pas vraiment à Loach. Sur le principe, l’investigation musclée de l’ex-soldat semblait bien pensée : la vengeance d’un loup solitaire n’est possible que dans l’ombre, seul contre la doxa et les financiers cyniques, en observant des méthodes pas très catholiques. Mais le vigilante movie qui faisait mine de démarrer est vite noyé dans un amoncellement de flashbacks brouillons et de rebondissements bavards, accusant un sérieux problème de rythme. C’est que Loach, malgré la matière fourmillante du script, n’abandonne pas la carte naturalisante, et s’attarde sur des vignettes sociologiques dont on se passerait volontiers : l’homme démuni serrant les poings face aux politicards, face à une amourette pleine d’aigreur, ou aux filous du marché de la guerre… Surtout, si son héros est doté d’une nature ambivalente (comme bon nombre de contractuels, son passé est à la fois héroïque et tendancieux), il ne se départit jamais de sa gravité de justicier et de martyr populaire, trop entier pour être vrai.

Jonglant avec plusieurs registres et plusieurs scénarios, Route Irish finit par les condenser pour former un ensemble difforme. Il en résulte un procès sans nuances, assénant ses griefs avec une insistance assommante. La faille se trouve surtout dans l’épuisement de l’argumentaire, lequel se résume au constat d’une instrumentalisation et d’un trauma, conduisant les victimes à se changer en bourreaux. L’engrenage fait froid dans le dos, mais le film s’indigne tant de son propre sujet, convoque un pathos si peu léger, que la démonstration, tout comme la croisade amère du soldat, est condamnée à tomber à l’eau.