Face à la démocratisation de notre cinéma et la prolifération des courts, longs métrages ou documentaires distribués en salles, on peut se demander si tous les films méritent le grand écran. Question à laquelle on serait immédiatement tenté de répondre par l’affirmative, chaque œuvre ralliant son public, aussi minime soit-il. D’un autre côté, certains objets trouvent davantage leur place à la télévision, et leur passage au cinéma relève d’une sorte de bévue généreuse, comme si la démultiplication du format était capable de conférer une nouvelle ampleur aux films projetés. Il en va ainsi de Rolling, docu récemment diffusé sur Arte et en boîte depuis quatre ans. Sans vilipender cette respectable entreprise, le transfert de la vidéo sur pellicule ne change rien à la qualité de la chose, dont la carrière commerciale semble d’ores et déjà compromise.

Ni particulièrement spectaculaire ou passionnant, le film de Peter Entell suit pendant trois ans l’existence d’Ivano Gagliardo, résident suisse passionné de roller-skate et promu idole de la nation grâce à un reportage de la télévision romande. Dévalant des rues réservées à la circulation, Ivano et sa petite bande en patins sèment une zizanie bon enfant dans Lausanne, ville sans doute trop paisible pour eux. Mais c’est la personnalité du jeune homme qui intéresse avant tout le réalisateur ; une attachante figure d’ado paisible qui peine à endosser ses responsabilités de commerçant (suite à son succès, Ivano a ouvert une boutique consacrée à son activité favorite), préférant les joies du roller au sacerdoce de la comptabilité. Rolling, c’est un peu la grandeur et la décadence d’un type qui rêverait de goûter pleinement à ses amours (le sport, mais aussi Emmanuelle, son épouse) sans jamais se plier aux lois d’un monde adulte et capitaliste. Une utopie qu’il réussit un temps à concrétiser (il crée même un ambitieux roller contest international) avant que ses fondations ne s’effondrent (faillite du magasin, séparation -provisoire ?- d’avec Emmanuelle). Parce que les premières images d’Entell sont celles d’un Ivano au bout du rouleau, tout le film, construit en flash-back, semble marqué du sceau de la fatalité, dégageant par là-même une pesante sensation de cruauté. C’est sans doute via cette structure decrescendo que l’auteur pense « faire œuvre », cherchant désespérément à insuffler de l’originalité (pour le coup mal placée) à une tranche de vie guère palpitante.