La petite originalité du premier long-métrage de David Winkler ne tient pas à ce qu’il nous dit sur le mythe d’Elvis. L’invitation au voyage à Graceland, que semble promettre le titre, est au mieux une fausse piste, au pire un attrape-gogos. En tout cas rien qui ne justifiât le déplacement des fans du King. Il demeure pourtant un charme à cette bande d’une heure trente, qu’on s’explique mal : le rythme est à bailler, l’histoire un rien ennuyeuse. Serait-ce le prestige des interprètes ? Aucune des voies que suit Winkler ne semble le passionner plus qu’une autre ; et le film reste jusqu’au bout dans cette indéfinition des fins et cet à peu près des moyens. L’ensemble est tellement de nulle part qu’on en vient presque à regretter les quelques scènes qui marchent, comme si la machine gagnait à être grippée. Le critique s’habitue à être condescendant.

Plus sérieusement, Road to Graceland -qui n’est qu’un scénario et des interprètes- évolue selon deux lignes qui lui apportent, sinon de la grandeur, au moins un petit intérêt. D’abord, une ligne Capra qui passe par le personnage incarné par Harvey Keitel. Celui-ci erre dans le Tenessee à la recherche d’une voiture, de préférence une Cadillac, qui le conduirait à Graceland. Il s’auto-proclame Elvis et, si la ressemblance ne frappe pas au premier abord, le récit va accréditer peu à peu l’idée qu’il est le King alors qu’il ne l’est pas. Où est Capra ? Dans le statut de ce personnage justement, moins un mythomane se faisant passer pour une star du rock, qu’une sorte d’ange qui martèle à tous ceux qu’il croise que la vie est belle dès lors qu’on ne l’envisage pas uniquement comme la gestion confuse de ses douleurs intimes. « Remember the King », la formule lancée par Keitel chaque fois qu’il quitte un lieu, apparaît alors comme un sésame magique véhiculant une énergie qui n’est que recyclable et qui défie la fatalité des destins, celui d’Elvis et de tous ceux qui l’écoutent. L’autre ligne, qui paraîtra plus ténue encore, rejoint Lynch et Cronenberg, dans leur manière singulière de briser les icônes de la culture populaire américaine. N’y avait-il pas un ange et un Elvis tabassé à la fin de Wild at heart ? Et Crash, est-il autre chose que l’enterrement en première classe de quelques symboles made in US au premier rang desquels James Dean et sa Porsche spider ? Dans les scènes où il filme les sosies peu crédibles des stars d’Hollywood, qui courent le cachet en même temps qu’ils fuient leur morne existence, Winkler rappelle les deux maîtres cités, même si rien dans son film ne permet de parler de style ou d’influences. Film invisible et qui passera inaperçu, Road to Graceland aurait pu être autre chose qu’une platitude déconcertante.