On anticipe sa retraite comme on peut. Pour les action heroes des années 80, le problème est d’actualité, et c’est un dilemme cornélien : vaut-il mieux assumer le poids des années et se recycler dans la comédie peinarde, ou bien feindre de ne pas accuser le coup et continuer d’en distribuer malgré les risques de sciatique ? Tout comme les cadors aux rides tatouées des Expendables, Bruce Willis ne tranche pas. Il prend de l’âge, mais garde la pêche dans les pantoufles d’un retraité de la C.I.A encore vert. Le marcel a disparu, mais le sourire en coin du mâle en forme est intact : il vieillit bien, en somme. Mais tandis que la jonglerie entre autodérision et sincère démonstration virile font le sel du jeu d’un Stallone, Willis, lui, se complaît dans une hésitation véritablement gênante, qui confine à la stagnation. Red l’enfonce encore d’avantage dans cette passe prolongée, faite de polars pseudo-caustiques à l’humour noir tirant vers le gris fade.

Les autres seniors de l’affiche ne mettent pas plus de conviction à s’acoquiner dans ce chassé-croisé improbable, bien que toujours sagement encadré. L’alchimie attendue entre les ténors, pourtant tous crédibles en anciens barbouzes surentraînés, ne prend pas, jamais – ni la parano patente de Malkovich ni le phrasé foudroyant d’Helen Mirren ne suffisent à débrider le millimétrage rigide des gags. L’impact de ces derniers pâtit d’ailleurs d’une hésitation constante entre parodie gouailleuse et enquête musclée à prendre au sérieux ; sans doute s’agit-il, malgré la légèreté de ton, de cultiver une certaine retenue pour dramatiser des gunfights peu inspirés et renforcer l’aura menaçante d’un ennemi terne et propret. Le syndrome, en tout cas, est typique du casting foisonnant : il y avait tant de gueules consacrées au générique que l’éventualité de soigner un scénario a dû paraitre subsidiaire. Sans grands enjeux ni répliques mordantes, chacun livre donc sa partition habituelle, dans le plus grand professionnalisme et surtout sans écarts : Morgan Freeman est digne et bonhomme, Willis bastonne avec flegme, et Mary-Louise Parker débarque de Weeds sans importer une once de son panache. Leur boulot proprement accompli aura raison du climat d’excentricité, et la farce vire rapidement au thriller hyperactif propulsé en roue libre dans un décor sans âme. Quelques bonnes surprises, dont le caméo d’Ernest Borgnine, bousculent tout de même l’alternance monotone entre vannes prévisibles et balles perdues, sans pour autant gommer les scories d’un polar faussement farfelu, réellement formaté.