Loin de se cantonner dans un registre sociologique en se limitant à la peinture réaliste d’un quartier pauvre de Glasgow, Lynne Ramsay filme cet univers à travers la vision effarée d’un jeune garçon de douze ans. Alors que les ordures s’entassent dans les rues de cette cité HLM, conséquence de la grève des éboueurs, James (l’excellent William Eadie) noie involontairement un camarade de jeu au cours d’une bagarre. Tout le monde croit à une noyade accidentelle. Le drame dont James est responsable va changer sa perception du lieu et des gens qui l’habitent. Cet espace coupé du monde, livré à sa propre folie, devient un endroit maudit, le siège d’une laideur insupportable. Et le ramassages des poubelles n’y changera rien.

Si la contamination de l’homme par son environnement à l’œuvre dans Ratcatcher transforme un état de pauvreté matérielle en problème de salubrité publique et infecte la santé corporelle des habitants, elle concerne surtout leur santé mentale. Dans ce lieu en état de putréfaction, les virus se transmettent à l’ensemble de la population et des cerveaux. Le seul cas d’hermétisme total au mal, un petit garçon amoureux des animaux, finit sous la pression de son entourage par les tuer lui-même (voir la scène de la souris qui vole à destination de la lune). Victimes de la contagion, le sol, les murs, les corps, les esprits, les relations affectives souffrent et se torturent mutuellement. Sous les yeux de James de plus en plus étranger à cette mêlée, on se bat, on viole, on se prostitue, on agresse, on glande salement (le père) avec un naturel déconcertant. La beauté semble irrémédiablement exclue de cet îlot délabré.

Lorsque, à force de patience, le petit homme croit enfin la toucher du bout des doigts sous la forme d’une petite amie ou à travers un acte héroïque accompli par son père, une déferlante de boue submerge impitoyablement ses espoirs. La beauté se trouve donc ailleurs, plus loin, au bout d’une ligne de bus qui conduit à un lotissement en construction au milieu des champs de blé. James y entre comme s’il pénétrait dans un tableau de maître pour s’y fondre. Malheureusement cet éclat ne peut être qu’illusoire. Un gris concret recouvre vite les blés dorés de la peinture. Dans une scène finale d’une rare poésie réaliste, James, qui a atteint un point de non-retour avec le meurtre commis (son refus de participer à cette société devient catégorique) et dont l’avenir paraît prédéterminé, partira à la recherche d’une harmonie définitive fatalement virtuelle.

Grâce à une sensibilité affûtée et à une réalisation qui alterne habilement réalisme et poésie (voir la première scène où une rêverie légère se termine par une claque retentissante), la réalisatrice livre un premier long métrage perfectible (dans la définition des enjeux, parfois trop discrets, de la réalisation et de l’histoire) mais plein de promesses.