Le mieux que l’on puisse souhaiter à Pourquoi j’ai pas mangé mon père, c’est de rejoindre le grand cimetière des mascottes ratées où gisent Howard The Duck, Ratboy et autres T-Rex, monstres oubliés dont les cadavres bougent encore, de loin en loin, dans les cauchemars de quelques gosses traumatisés. La genèse du projet rappelle d’ailleurs ces vieilles catastrophes industrielles : sous la promesse du premier blockbuster français 100% mocap s’entassent vingt-cinq ans de déboires et de coûteuses tergiversations. Passé de mains en mains avant d’échouer chez Pathé, le bébé ingrat porte les stigmates de cette gestation calamiteuse. Si bien qu’une sorte de making of implicite fait écran au récit : comment en est-on arrivé là ? Comment finit-on par décider, au terme d’un meeting dans les bureaux de Pathé, de miser gros sur la mutation de Jamel en macaque numérique ?

Le film recycle la fable pédago de Roy Lewis (Pourquoi j’ai mangé mon père) et lui emprunte Édouard, super-singe traversé par quelques lueurs de génie humain (exemple : une main cassée l’incite à devenir bipède). Mais plusieurs visions du projet jouent des coudes au sein du même script : contrefaçon des épopées animalière à la Blue Sky (L’Âge de glace) ; parodie de fantasy assaisonnée aux bariolages de l’Afrique préhistorique (en gros, Game of Thrones dans l’ambiance de la brousse, attention les secousses) ; autoportrait de Jamel, enfin, comme on pouvait s’y attendre. Son personnage fonctionne effectivement comme avatar fantasmatique, tirant parti de son handicap pour s’ériger en messie et vanner les primates rétrogrades dans un français approximatif. Sautillant d’une case à l’autre, ce salmigondis impur et laid se passe de tout liant narratif et néglige même ses punchlines comiques, dissoutes dans les borborygmes insupportables des singes (seuls Edouard et sa fiancée ont droit à des répliques à peu près dignes de ce nom).

Mais c’est le choix de Jamel comme contremaître fantoche qui pose le plus gros problème. Sur le papier, il y avait de quoi graisser les rouages de cette machine à perdre avec un peu de sève poétique : Debbouze en pivot bankable du casting, c’était l’occasion de fusionner son histoire personnelle avec celle du genre humain – un peu de folie mégalo ne fait de mal à personne. Mais pourquoi lui confier les pleins-pouvoirs de la mise en scène, alors que Pierre Coffin (Moi, moche et méchant) était originellement aux commandes ? Expert du verbe détraqué, du bégaiement et du sur-place, Jamel cloisonne forcément un récit qui ne demande qu’à se déployer dans le mouvement et la vitesse. Chaque arène se réduit donc à une scène de stand-up riquiqui, où son doppelganger poilu ne fait qu’ânonner son répertoire 90’s – verlan incongru, blagues sur les Portugais, etc. Ce mariage malade entre Dreamworks et le Jamel Comedy Club engendre mille hybridations grotesques (De Funès, paix à son âme, se voit réincarné en babouin grisonnant et jamais drôle) qui n’inspirent même pas l’inquiétante étrangeté qu’on peut éprouver, en général, devant les gros nanars mutants. Ces trouvailles rances, à la fois nostalgiques du vieux popu français et des bestiaires de Disney (Le Livre de la jungle en tête), font plutôt souffler un vent morbide sur la chatoyante savane. De la part d’un conte progressiste sur l’éclosion de l’intelligence humaine, c’est pour le moins ironique.