Tout comme il serait malvenu de reprocher à porno mainstream l’ineptie de son scénario ou la platitude de son interprétation, il n’est pas nécessaire d’accabler Paul W. S. Anderson pour le prétexte narratif qui lui sert ici à déployer sa fureur numérique. On notera néanmoins que Pompéi ne se contente pas de reproduire une recette, mais trois – au moins.

Certes, le film s’appuie sur un goût jamais démenti à Hollywood pour l’imagerie issue de l’Antiquité romaine, laquelle permet d’allier stratégie politique et spectacle de la violence dans une ambiance volontiers dissolue. Mais Pompéi est avant tout une créature hybride, un feuilleté où s’entrelacent sans toujours se répondre L’Arme fatale, Titanic et les Dents de la mer. Soit à la fois la naissance d’une amitié entre deux gladiateurs, un Blanc et un Noir, que tout oppose ; la naissance d’un amour profitant de la catastrophe pour s’abstraire des frontières de classes et s’épanouir fugacement hors de tout destin social ; et, enfin, une combine « politicienne » virant au carnage, les élites locales se soumettant, pour assurer la prospérité par le divertissement de leur « station balnéaire » (ainsi Pompéi est-elle qualifiée par le méchant sénateur Corvius), à un investisseur tyrannique. Le prologue, qui aurait pu vaguement amorcer une métaphore à visée géopolitique (un massacre d’innocents par une armée impérialiste), est donc bien vite rabattu sur des données strictement américaines : Pompéi contre Rome, ou l’éternelle opposition de la bourgade tranquille contre la grande ville corruptrice. Avec, pour arbitrer les débats, les dieux (du spectacle).

De ce fatras de situations stéréotypées, il n’y a donc pas grand-chose à espérer – sinon un liant pas trop désagréable entre les money shots, ces plans pour lesquels la production dépense et le spectateur paye. S’il nous divertit un temps avec des scènes de combats entre gladiateurs, Anderson sait, comme n’importe quel spectateur, que l’essentiel vient toujours avec le moment du sacrifice, celui par lequel le film se voue à sa propre destruction. Le blockbuster est assurément un art de la flambe, et rien de mieux pour cela qu’une éruption volcanique. De ce point de vue, le film impressionne, notamment lorsque suite au tremblement de terre, la mer se retire, laissant les poissons clapoter sur le fond limoneux du rivage, avant de revenir en une gigantesque vague balayer la ville. Dans les grondements et les fracas qui s’ensuivent, on comprend surtout que le numérique, toujours en quête d’une densité, d’une matérialité, la trouve d’abord par la saturation de sa bande sonore, qui lui fait comme un lit. C’est que, passés les instants précédant la catastrophe où un avant-plan (branchages, colonnes) peut encore fournir un cadre, l’image numérique apparaît toujours davantage comme flux (et reflux), comme coulée de magma, que comme composition.

Détruisant les fonds qu’il construit, liquidant toutes les coordonnées spatiales, le numérique ne trouve de consistance que dans son effondrement même – par le son, donc, mais aussi par la figuration de sa trame pointilliste, ici à travers des cendres tournoyantes. Enfin l’impression est donnée, bien paradoxalement, de voir autre chose que des acteurs s’agiter devant une toile bien trop lisse générée par ordinateur. Ce n’est d’ailleurs pas sans beauté que le film, par la cendre qui s’accroche dans leur course éperdue aux cheveux et à la peau des personnages (et recouvre leur corps sans vie avant d’ensevelir l’image, les pétrifiant dans une pose éternelle), trouve le point fragile par lequel la chair et les chiffres se rencontrent.