Il faudra bien un jour se pencher sérieusement sur les frictions entre le cinéma et la figure de Bob Dylan, sur ce corpus qui court de modèle de cinéma-vérité (Don’t look back, Pennebaker) en curiosités déviantes (Masked and anonymous, Larry Charles ; Renaldo et Clara, par Dylan himself), en passant par le doc de luxe (No direction home, Scorsese) et le chef-d’oeuvre hipster (I’m not there, Haynes). En attendant, la clef dylanienne, si elle existe bel et bien dans le cas présent (le protagoniste est fan et cherche à rejoindre un futur concert), est plutôt une fausse piste, accentuée par le titre sous lequel le film – en v.o. c’est : Os famosos e os duendes da morte – sort chez nous.

« Mister tambourine man », donc, c’est le pseudo sous lequel le personnage principal tient son blog, et c’est aussi la seule identité que nous lui connaîtrons. Il faut, d’emblée, dire la justesse avec laquelle le film saisit le paysage contemporain du blogging et de la navigation sur YouTube ou Flickr. La jeunesse du cinéaste, qui a 26 ans, n’y est sans doute pas étrangère et d’ailleurs c’est elle qui, pour le meilleur comme pour l’un peu moins bon, donne au film sa saveur. Ses thèmes – l’adolescence, le deuil – comme ses scories – quelques effets clippesques, deux trois maladresses – relèvent de la panoplie canonique du Premier Long Métrage, mais pour autant il serait fâcheux de le réduire à cette seule dimension. Film sur l’adolescence (un lycéen se cherche à travers le deuil d’une amie suicidée, la figure inquiétante de son petit ami, et un retour sur leur relation morbide), Play a song for me est aussi un film de fantômes, habité d’apparitions quasi-fantastiques auxquelles la mise en scène, sans verser dans un symbolisme lourd (à l’exception d’une ou deux facilités, comme l’insistance sur le décor du pont), offre un cadre poétique et joliment évanescent. Les morts apparaissent nimbés du grain des nouveaux home-movies : belle idée, que le cinéaste a l’intelligence de ne pas épuiser.

Mais c’est aussi, et surtout, sur son versant le plus réaliste que le film convainc. Sa vraie grâce, la plus touchante, se dévoile dans de magnifiques moments périphériques – les séquences de lycée, notamment : le cours délivré par une prof accablée par une insondable tristesse, la séance de sport évoquant l’absence au monde… C’est aussi la séquence des grands-parents, simple, prosaïque et superbe, qui aide à pardonner des choix ailleurs plus balourds – un certain manque de finesse dans le travail du son, par exemple. L’oreille est tout de même caressée par les chansons mélancoliques de Nelo Johann, jeune songwriter compatriote d’Esmir Filho. Car le cinéaste enrôle plusieurs jeunes artistes brésiliens, à l’instar de Tuane Eggers, qui incarne la jeune suicidée et dont les œuvres numériques (photos et vidéos) nourrissent le film. C’est aussi le romancier Ismael Caneppele, auteur du roman dont s’inspire le film, qui interprète l’ombrageux Julian, part sombre du récit et figure un instant confondue avec celle de Bob Dylan par la grâce d’un beau plan naïf. Des collaborations qui font de Play a song for me une proposition de portrait multiple de la région essentiellement germanophone du sud brésilien, dont le background (pour faire très court, un mélange de samba et de folkore bavarois) désoriente délicieusement le regard étranger. Oeuvre doucement étrange sur l’adolescence, premier long aux défauts touchants, voyage sincère et beau film de fantômes : don’t think twice, it’s allright.