Exit les fantasmagories infantilisantes des Top gun et autres Backdraft, propagandes joyeuses et dynamiques des années 80. Un quart de siècle plus tard, on rend hommage aux dures réalités des institutions autant qu’on y loue un héroïsme plus grave. Dernièrement, il y a eu SWAT, chronique ultra bushienne d’un corps d’élite de la police qui insistait sur la fraternité des flics et les dangers de l’individualisme. Maintenant, il y a Piège de feu, portrait d’une profession -les pompiers- , portrait d’une génération folle de boulot, de patrie et de religion. Réalisé par Jay Russell, un pro de la comédie familiale (il a reçu cette prestigieuse distinction pour Mon chien Skip, sa dernière oeuvre, une bouleversante histoire de toutou surdoué), le film se pare d’une austérité documentaire, le vibrato plus sensible qu’à l’accoutumé.

Aucun doute, c’est l’électorat républicain que vise le film, majorité silencieuse qu’Hollywood ne représente jamais aussi clairement. Joaquin Phoenix est donc un pompier ultra-ordinaire. Coincé dans les décombres d’un immeuble en feu, il voit sa vie professionnelle défiler en images : ses potes si finement blagueurs, toujours prêts à s’envoyer une mousse au pub d’à coté, son patron (Travolta) un vrai père de substitution et sa femme, leur rencontre au supermarché où entre deux rouleaux de PQ, 100 grammes de tomates et un pack de débouche-évier, il a su qu’il l’aimerait pour toujours. Aussi nauséeuse que naïve, cette description minutieuse ose ce que le cinéma commercial effleure à peine habituellement. Car au-delà des costumes et des codes narratifs, l’american way of life est omniprésente, valorisée au même titre qu’une scène d’action. On en passe et des meilleurs : culte du travail (comme les joyeux va-t-en guerre de SWAT), rapports professionnels strictement paternalistes, vision traditionnelle de la famille (mère au foyer, marmots en cascade et dessins agrafés sur le frigo), barbecues que précède la messe du week-end entre collègues et voisins du quartier.

L’action n’est pas en reste même si Russell ne dispose d’aucune idée forte. Pas grave répond le film, parfaite apologie de la scolarité pépère où l’on colle aux basques des conseillers techniques. Idem pour la progression dramatique, séries d’anecdotes qui sentent le vécu empilées dans une progression exponentielle. On commence toujours petit chez Russell, anti-maître du suspens par définition : blagues de caserne, petits incidents ménagers puis l’incendie dépiauté par niveaux de risques. Pas de doute, les pompiers sont bien sur le plateau, fiers qu’on sublime ainsi leurs exploits, prêts à tout pour l’empathie maximum. Tous les plans sont certifiés conformes à l’original, des enterrements nimbés d’horreur en passant par les petits détails qui fleurent bon la confidence de pro. Même le casting fait passer la pilule subtilité, notamment Joaquin Phoenix, délicieusement sobre en bon petit soldat ordinaire vaguement touché par la grâce. Sa prestation, c’est l’anti-Ray sorti il y a peu. Pas de pantomimes racoleuse, ni de fascination pour la décadence, les minorités ethniques et les destins extraordinaires. Un film familial, on vous dit. Mais pas pour toutes les familles.