« J’ai attrapé un coup de soleil, un coup d’amour, un coup d’je t’aime » ». Aux deux tiers de Petite chérie, cette chanson nostalgique donne un coup de fouet à l’intrigue libérant tous les possibles d’un quatuor composé de deux couples -fille-beau-fils et parents-, vivant sous le même toit. Pour son premier long métrage, la réalisatrice Anne Villacèque signe ici une œuvre surprenante, du début à l’extrême fin.

Visage placide, regard opaque, Sibylle, incarnée par Corinne Debonnière, est fermée au monde qui l’entoure, cloîtrée dans un intérieur habité de romans Harlequin. La chambre qu’elle occupe dans le pavillon de ses parents n’a pas bougé depuis ses treize ans. Elle en a trente et toujours pas de petit ami. Victor est bouillonnant, face à elle dans un train de province, il ébranle tout : ses complexes, sa timidité, son existence bien rangée. Victor entre illico dans la vie de Sibylle et s’installe dans le pavillon familial. Durant la journée, il prétend avoir des réunions pour ses affaires mais traîne en fait dans un centre commercial. L’intrigue de Petite chérie est inspirée d’un fait divers, sa fin est donc comme la vie : inattendue ! Comme Sinon, oui (une femme feignant durant neuf mois d’être enceinte puis volant un bébé dans une maternité) réalisé par Claire Simon, ou le film que prépare actuellement Nicole Garcia en s’inspirant de l’affaire Roman, Petite chérie travaille la création de fictions au cœur du réel. Pourtant, le film est tout sauf naturaliste.

Dès les deux premières scènes -le calme silencieux d’un cours de yoga puis la rapidité bruyante d’un wagon de train-, Anne Villacèque montre une incroyable maîtrise du langage cinématographique : du casting (quatre acteurs principaux éblouissants) au décor (un lotissement neuf et désert dans lequel tous les pavillons sont identiques) en passant surtout par le montage basé sur d’incessantes ruptures de rythme. Face à la relation dérangeante qu’entretiennent Sibylle et Victor, on pense à Breaking the waves ou L’Humanité, tant la femme y est un instrument soumis à l’imaginaire de son compagnon. Belles références pour un premier film qui réussit surtout à les éclipser tout en créant un univers pour le moins insolite. Rare !

Emma Baus