Second film d’Alejandro Amenabar après Tesis, Ouvre les Yeux est une oeuvre ambitieuse et fascinante. Inracontable, le film a pour protagoniste Cesar (Eduardo Noriega), jeune homme séduisant et richissime dont la principale occupation est de séduire une fille chaque jour avant de la laisser tomber, après « consommation », au grand dépit de son ami Pelayo (Fele Martinez), qui ne peut prétendre à un tel « donjuanisme ». Mais alors que Cesar semble s’intéresser plus que de coutume à la ravissante Sofia (Penelope Cruz), une de ses récentes « victimes », Nuria (Najwa Nimri), ne cesse de le poursuivre de ses ardeurs…
Si ce point de départ est on ne peut plus classique, Ouvre les Yeux n’en demeure pas moins un film de ruptures. Passant allègrement de la comédie romantique à l’horreur, du mélodrame à la science-fiction, il prend chaque genre à bras le corps jusqu’à épuisement, abordant le suivant lorsque le précédent n’est plus en mesure de fournir la sève nécessaire à la brillance formelle et scénaristique souhaitée. Ouvre les Yeux pourrait être qualifié de roublard et manipulateur, car à l’instar de Usual Suspects ou The Game, son récit repose sur une mécanique parfaitement agencée dont les multiples rebondissements sont censés prendre le spectateur à contre-pied.
Heureusement, tout en restant ancré dans les entrelacs de son scénario, Amenabar parvient à s’en échapper par un style ample et lyrique transcendant des situations qui, parfois, auraient pu se révéler grotesques (la scène de Sofia en mime sous la pluie, par exemple). Ainsi, Amenabar parvient à émouvoir par de purs effets de mise en scène, ce qui est rare et le rapproche du cinéma, lui aussi très visuel, de son talentueux compatriote Julio Medem (L’Ecureuil Rouge et Tierra) avec qui il partage du reste certains comédiens. Ouvre les Yeux propose en outre une réflexion passionnante sur l’univers du rêve, de la virtualité et des faux-semblants ; et si on peut lui reprocher une fin facile, celle-ci doit être également considérée comme le gage d’une liberté totale dans la création d’images pulsionnelles et mentales.
Nouvelle et singulière étape dans la série des « films-cerveaux » qui comptent parmi les plus forts de ces dernières années (on pense notamment à Lost Highway de David Lynch, The Blackout d’Abel Ferrara ou Nénette et Boni de Claire Denis), Ouvre les Yeux est aussi un jalon important dans le renouveau chaotique du cinéma espagnol.