Ça s’appelle Oscar Wilde, et ça commence comme un western. Du fin fond du désert, au milieu du bruit et de la poussière, émerge au galop le tout premier cow-boy homosexuel : Oscar… Là, on s’arrête de respirer, et on s’interroge : allons-nous échapper pour une fois aux clichés des « biografilms » de célébrités mondaines du XIXe siècle ? Va-t-on explorer une partie sombre et inconnue de la vie de l’artiste ? Le réalisateur est-il totalement allumé ? A défaut d’être profond, cela pourrait être drôle… Hélas, chers amis, il n’en sera rien ! Après ce court début atypique (en fait, rien d’autre que la visite de Wilde dans sa mine d’argent américaine), notre homme s’en retourne rapidement à Londres, occuper le premier rôle d’un film ennuyeux et prévisible.
Oui, je me dois de vous avertir, l’histoire est toujours la même et tient en une phrase : « grandeur et décadence d’un mec connu qui appartient au super-patrimoine culturel » (essayez, ça marche à tous les coups… ). Engendrée dans les entrailles de l’Oncle Sam (Ludwig van B., Raimbaud-Verlaine, etc.), et depuis peu adoptée par notre beau pays (Beaumarchais, Lautrec), la manie de porter à l’écran la vie romanesque des grands hommes a donc fini par contaminer l’Angleterre. Ce qui énerve dans ce genre de projet, ce n’est pas tant la volonté de capter l’essence du talent de l’artiste que celle consistant à filmer mièvrement les aléas de son existence. Car quelle tâche incombait au réalisateur : filmer l’œuvre de Wilde ou les faits-divers qui l’entouraient, le talent ou son support ? Certains me diront : « oui, mais sa vie ça nous permet de comprendre son œuvre, tu vois… « . A ceux-là, je me contenterai de citer Wilde, le vrai, l’unique, qui en son temps disait : « la seule école des artistes, c’est l’art et non la vie ». En clair, ce film n’est rien, ou disons plutôt qu’il n’y a rien de Wilde dans ce film, exceptées les péripéties de son enveloppe charnelle (parties de sodomie endiablées, dîners mondains, maladies, etc.), ce qu’une maigre chronologie aurait suffit à résumer ; pour tout savoir sur Wilde, achetez plutôt ses bouquins.

Brian Gilbert, à qui l’on doit entre autres Jamais sans ma fille (…), a t-il vraiment lu Wilde ? Oui, probablement, mais en diagonale et d’un seul œil, sans l’ombre d’un doute. Oscar Wilde plaira aux amateurs de belles redingotes anglaises et de jolis lustres en cristal ciselé, bref à tous ceux qui aiment le luxe romancé, et pour qui le cinéma sert à oublier les tracas quotidiens de l’existence en s’exposant à la lumière « couleur abricot d’une journée Londonienne ». Quant aux autres, ceux qui aiment le cinéma, ceux qui aiment Wilde, ceux-là vont crier à la trahison. Ils auront raison… Quelle vanité de vouloir embrasser la vie entière d’un auteur aussi génial, et quel sacrilège ! Plutôt que de nous montrer le plus génial des dandys londoniens du sommet de sa gloire jusqu’à sa condamnation aux travaux forcés, le tout à grand renfort de violons et d’effets faciles (comme ces terribles raccords dans l’axe du regard de Wilde quand il connaît le coup de foudre), Brian Gilbert aurait dû tenter d’effleurer fugitivement la substance même du génie d’Oscar Wilde. Mais encore eut-il fallu que le réalisateur prenne quelques risques… Ce lâche de Brian Gilbert ayant préféré la fresque hollywoodienne et le mélodrame gras, son film nous gave jusqu’à la lie, et on m’apprend à l’instant que le spectre d’Oscar Wilde vient de se pendre, avant de disparaître au royaume des artistes humiliés pour l’éternité. Il aurait murmuré ceci : « à tant vouloir épuiser un sujet, on épuise son auditoire ».