Quelques années plus tard, que reste-t-il de Dogme 95, la charte éditoriale inventée par Lars Von Trier et ses petits amis ? Tous ceux qui se sont collés à l’exercice de style s’en sont ensuite retourné vers un cinéma plus traditionnel, avec beaucoup moins de succès et / ou d’inspiration, il suffit de voir les films suivants de Vinterberg, Lone Scherfig ou pire, ceux de Jean-Marc Barr ou de Lars Von Trier lui-même pour s’en convaincre. Qui a d’ailleurs depuis tenté de rattraper la sauce en expliquant que tout ça n’était qu’une vaste fumisterie. Les quelques traces ADN de cette pseudo-révolution subsistant dans le cinéma européen ont d’ailleurs finissent par diluer son propos en la rendant définitivement mainstream. Patrice Chéreau comme Stephen Frears ou Claude Berri, dans leurs derniers films, ayant emprunté aux Danois une capacité de liberté formelle pour pouvoir doper leurs sujets d’une urgence, d’une vitalité paradoxalement factice alors que le fondement de Dogme 95 était le refus de toute artificialité.

A ce petit jeu là, Vincent Pluss un cinéaste suisse non répertorié jusque là chez nous, s’avère plus pertinent que les autres. Sans l’utilisation de la caméra DV, On dirait le sud ne serait probablement qu’un clone des drames conjugaux de Jacques Doillon circa années 80 : Jean-Louis débarque un beau matin chez son ex femme pour voir ses enfants dans un village méridional. Immédiatement, quelque chose fait qu’on sait qu’on n’est pas devant un reportage voyeuriste d’M6 ou du Droit de savoir autour d’une famille qui s’entre-déchire. Cet on-ne-sait-quoi qui investit immédiatement le climat du film, dans un premier temps indéfinissable, à naviguer entre suspense et drame psychologique. On dirait le sud est un film nourri par un instinct absolu, tant par cette forme fébrile et chaotique que par le visible sens de l’improvisation qui émane des comédiens. Que Pluss refuse visiblement de domestiquer. Excellente idée : son film trouve alors sa puissance dans un perpétuel qui-vive, filigrane qui devient l’échine d’un récit électrifié par cette tension permanente. Le psychodrame familial devient ainsi un suspense nerveux, pas loin de ce qu’on a pu trouver dans certains films de Breillat (Parfait amour, le final d’A ma soeur !), quand la réalité se pare d’un sentiment d’inquiétude, frise le fantastique. Quand, au lieu de se contenter d’utiliser des moyens techniques ou une forme de jeu visant à reconstituer la vie, un cinéaste préfère aller vers le souffle renversant d’un vérisme beaucoup plus probant.