Moins ambitieux que certains de leurs précédents travaux, O Brother, where art thou ? appartient à la veine comique du cinéma des frères Coen. L’occasion pour les esprits les plus sévères de regretter une fois encore la dimension expérimentale de Sang pour sang ou Barton Fink, récemment délaissée au profit de sympathiques pochades (The Big Lebovski). Pourtant, cette comédie échevelée consacre enfin un talent de caricaturistes dont les auteurs auraient tort de nous priver.

Une farce de potaches anormalement éveillés tient lieu d’argument de départ : transposer l’Odyssée d’Homère dans les années 30 au fin fond du Mississippi. Au beau milieu de ce Deep South du début du siècle, trois évadés du bagne, Ulysses Everett Mc Gill (G. Clooney, impressionnant), Delmar (T.B. Nelson) et Peter (J. Turturro) partent à la recherche du magot que le premier a dérobé, puis caché, avant de se faire arrêter. Le trio erre de rencontre en rencontre en tentant tant bien que mal d’échapper au shérif qui leur colle aux basques. Cette libre adaptation de la célèbre épopée devient très vite un road movie, habile prétexte pour traverser à tombeau ouvert une région et une époque dont la représentation devient source de nombreux effets burlesques.

O Brother… permet ainsi de vérifier une nouvelle fois le talent de portraitistes des Coen. Autour de George Clooney et de ses comparses gravite une pléiade de seconds rôles bâtis avec soin : John Goodman en cyclope détrousseur, le truand cyclothymique Babyface, le vieux Papy O’Daniel et son obèse de fils Junior… A la caricature de ce petit monde s’ajoute celle d’éléments contextuels assez représentatifs de l’image que l’on se fait du Vieux Sud (les anciens esclaves noirs, le Ku Klux Klan…). Des ingrédients hautement inflammables que Joel Coen se charge de faire exploser grâce au timing serré qu’il impose. Pourtant O Brother… se distingue sans appel du pur entertainment, un genre qu’il effleure parfois. Au rythme alerte qui règle notamment les courses-poursuites, succèdent à plusieurs reprises de languissantes stases sonores portées par d’impériaux morceaux de blues et de country.

Parvenir à jouer avec l’imaginaire collectif (notamment par l’usage de clichés) tout en l’aiguillant vers un univers bien personnel, cette alchimie porte la marque des frères Coen. Et contre toute attente, O Brother… propose finalement une pertinente digression basée sur le récit d’Homère.