Quoi de plus éloigné de l’univers misanthropique et cruel de Neil LaBute que le monde sirupeux des soap operas ? Avec Nurse Betty, le réalisateur effectue un virage à 180 degrés. Il renonce à sa vision particulièrement noire et grinçante de l’humanité et nous livre un objet difficilement identifiable qui tient à la fois de la comédie, du road movie et du film de gangsters. Si son but était de nous surprendre, il a parfaitement réussi. Mais une fois l’étonnement passé, le changement d’inspiration constaté, que reste-t-il de Nurse Betty ? Pas grand-chose. Un petit film consensuel qui peine à trouver ses marques.
Entre un mari macho et un boulot de serveuse peu palpitant, Betty (Renée Zellweger) mène une vie morne et banale dans une petite ville du Texas. Sa seule échappatoire est un feuilleton dont elle ne rate pas un seul épisode : Amour et passion, une sorte de Feux de l’amour avec de beaux docteurs et de belles infirmières. Mais le mari n’est pas seulement un gros macho, il est également un escroc qui se fait tuer par deux gangsters (avec cette scène, le réalisateur coupe le cordon ombilical puisque le mari trucidé est interprété par Aaron Eckhart, l’un des acteurs principaux de son premier film, En compagnie des hommes). Incapable de faire face à la réalité, Betty se réfugie dans l’univers du soap opera. Persuadée d’être une infirmière, elle part pour Los Angeles rejoindre son amour de toujours, le docteur Ravel, l’un des héros de sa série favorite.
Après un début « sociologisant » -ah ces pauvres femmes opprimées qui n’ont rien dans leur vie excepté les feuilletons de l’après-midi-, le film se métamorphose en road movie, ou plus précisément en deux road movies. Au voyage de Betty se superpose, en effet, celui des deux assassins qui sont à sa poursuite. En se dédoublant, Nurse Betty non seulement s’éparpille mais perd également de son intérêt. Car si le personnage de Betty, sa folie douce, est on ne peut plus attachant, le duo de truands, basé sur des dialogues absurdes à la Tarantino et fonctionnant selon le modèle éculé des personnalités opposées -Morgan Freeman en vieux sage et Chris Rock en jeune chien fou gaffeur-, est, lui, particulièrement horripilant. Betty arrive à destination et le film emprunte de nouveau une autre trajectoire. Cette fois, il s’oriente vers la parodie, celle du milieu de la télé. A force d’hésiter entre plusieurs registres, Neil LaBute n’en exploite aucun. Il en résulte une œuvre bâtarde, bancale, dont seul submerge le personnage de Betty, son délire en mode mineur, son obstination touchante à vouloir vivre dans un univers de fiction.
Le seul mérite que l’on puisse accorder au film est qu’il va jusqu’au bout de son programme consensuel : Betty finit par jouer dans Amour et passion ; bref chacun peut réaliser ses rêves. La volte-face de Neil LaBute nous avait déconcertés de prime abord mais, au final, ses velléités démago ne provoquent qu’agacement et rejet.