Un général français du temps de la Restauration, Armand de Montriveau, baroudeur peu coutumier de l’hypocrisie et des petits jeux sociaux des salons parisiens, tombe éperdument amoureux d’une coquette, la Duchesse de Langeais qui, flattée d’être ainsi aimée, va se refuser à lui au nom de la grandeur de l’amour et de la religion. A partir de ce saisissant point de départ, les personnages enclenchent eux-mêmes un engrenage dont personne ne pourra entraver la marche.

Adapté de La Duchesse de Langeais de Balzac, le nouveau Rivette est sans doute moins puissant que ne l’était Histoire de Marie et Julien (peut-être l’un de ses plus beaux films), mais il touche à la même corde sensible des amours mortifères, avec une sorte de froideur, une absence de pathos qui renvoie cette histoire à sa cruauté mécanique. Le temps, ici un facteur essentiel, apparaît dans toute sa logique impassible ; les cartons, les intertitres qui apparaissent ça et là contribuent à ce sentiment d’une mécanique en marche, froide et distanciée. Pour un peu on croirait entendre, à chaque plan, le tic tac d’une pendule annonçant qu’inexorablement les êtres foncent tout droit vers leur funèbre destin. La caméra de Rivette enregistre l’implacable déroulé de ce mélodrame (mais alors c’est un mélodrame sec, dénué des débordements qui signent habituellement le genre), avec une distance qui empêche les soubassements charnels de l’histoire et des personnages d’atteindre au grain des chairs, de nous faire toucher du doigt le doux chuintement des voix, d’apporter du soyeux aux vêtements, aux décors, à un environnement qui n’en pourrait plus de retenir la passion et menacerait d’exploser.

Au contraire, tout y est à ce point intellectualisé, désossé, à tel point que le film apparaît comme un traité métaphysique de l’empêchement, des mauvais tours que se jouent les êtres entre eux et du temps qui les y aident avec une glaçante ironie. S’il y a bien une sorte de suspense dans Ne touchez pas la hache, c’est précisément grâce à cette distance qui n’essaie pas de jouer de l’empathie avec ses héros. Mais comment les fils vont-ils donc se nouer ? Telle est la question qui nous taraude atrocement pendant les 2h17 que dure le film. Il y a comme un sadisme latent à l’oeuvre ici, un sadisme presque hitchcockien dans sa façon d’étirer le supplice (mais sans la délectation d’Hitchcock qui confère à ses films cette jouissance contrariée si particulière), dans cette manière de refuser obstinément le repos fugitif que pourrait nous offrir le spectacle d’une brève consommation des désirs. Les cadres fixes, une lumière de caveau aux dominantes bleues, quelque chose dans la définition de l’image qui donne aux visages ces allures mortuaires -comme si la poudre, le maquillage, les fards ne suffisaient pas à masquer la mort tapie en chacun des vivants-, c’est chaque détail qui semble pris dans l’impossibilité de vivre et de s’épancher. On peut trouver cela désincarné, il nous semble, au contraire, qu’il y a là toute la mélancolie des passions froides.