Dans un village burkinabé, Collé, une mère de famille, accueille quatre fillettes qui tentent d’échapper à l’excision. Bien vite, le village entier tente de convaincre par tous les moyens Collé, qui résiste au nom du « moolaadé », le respect absolu du droit d’asile. En refusant de se plier à la simple opposition entre tradition et modernité, le vieux maître Ousmane Sembène démontre que son cinéma n’a rien perdu de la vigueur de ses débuts (La Noire de…, il y a presque quarante ans). L’affrontement ici n’est pas celui, trop simpliste, entre vieille garde et jeune garde mais la lutte entre deux valeurs ancestrales : celle du « Moolaadé », croyance qui veut que l’on respecte à tous les prix la protection d’une personne en fuite, et le  » Salindé « , pratique de l’excision vouée à purifier les fillettes.

La jeunesse du cinéma de Sembène passe par une multitude de personnages-relais, apparemment secondaires, qui viennent constamment jeter le trouble sur une vision trop manichéenne des enjeux du film. Ainsi du personnage de « Mercenaire », machiste invétéré qui révèle peu à peu la modernité de ses points de vue, ou celui du mari de Collé, figure entre autorité et soumission qui passe par une multitude d’états. En plus de cette belle complexité morale, la barbarie de la pratique de l’excision n’est jamais dénoncée comme telle et s’exprime presque uniquement à travers la représentation de peurs enfantines (l’effroi devant les apparitions un peu oniriques des exciseuses, sorte de ballet d’ogresses aux vêtements rouge vif). La mise en scène est d’une pureté cristalline, capable de s’arrêter dans les moindres recoins des ruelles du village sans que cela n’empiète sur la fluidité du mouvement général de l’intrigue.

La force et l’énergie du plaidoyer est à ce prix, une forme de classicisme souple et apaisé, jamais figé dans la dénonciation ou anesthésié par une quelconque bonne conscience libérale. Conte révolté ou thriller baroque, chronique villageoise ou pur mélodrame, Moolaadé est une petite merveille, la preuve d’une virtuosité intacte et souveraine de la légende Sembène. La voie ouverte, surtout, à une alternative aux deux postures qui enserrent d’un peu trop près le cinéma africain contemporain, auteurisme affecté ou carte postale anonyme.