Lors du tournage d’un de ses précédents films, Zaïre le cycle du serpent, Thierry Michel fut emprisonné dans les geôles de Mobutu. Quelques années plus tard, il décide de travailler à nouveau sur cette ex-colonie belge. En fouillant dans les milliers d’heures d’archives conservées sur place, et dans le monde, en interrogeant les proches de l’ancien chef d’Etat, il cherche à comprendre le parcours de Mobutu, caporal dans l’armée coloniale puis « Guide suprême » du Zaïre.

Dans un luxueux salon, sur un canapé en cuir blanc, est installé un ancien haut dignitaire du régime mobutiste : le Ministre de la communication. L’air navré, il livre au réalisateur : « je connais beaucoup de choses sur le plan de la sexualité du président Mobutu. » On se demande un instant si le film ne va pas sombrer dans la complaisance graveleuse genre Voici version cinéma, mais il en n’est rien. Evidemment, cette information sert à mieux comprendre la capacité de manipulation de Mobutu. S’il est « allé avec toutes les femmes de ses collaborateurs », comme le dit joliment le Ministre (qui soit dit en passant ne fut pas épargné), c’était pour mieux les maîtriser. En agissant ainsi, il les connaissait mieux (les fameuses confessions sur l’oreiller) et les humiliait. Cet exemple est symptomatique de la méthode employée par Thierry Michel : s’il traite de la vie privée de Mobutu, c’est toujours pour dévoiler les rouages de son exercice du pouvoir. Tout au long du film, il garde en tête cette phrase de Saint Augustin mise en exergue de son long métrage : « De toutes les passions humaines, la plus enivrante est l’esprit de domination ».

L’une des difficultés du film, après avoir recueilli durant deux ans les archives nécessaires, était d’utiliser un matériau a priori obligeant pour le personnage. Militaire de formation et ayant eu une brève expérience de journaliste, Mobutu était un homme politique maîtrisant parfaitement la stratégie et la mise en scène. Mais en choisissant de « privilégier le parti pris dramaturgique par rapport à l’enquête journalistique ou historique », le réalisateur réussit à se dégager de l’imagerie officielle et à insuffler de la vie à un documentaire historique. Ainsi, au cours du film, le spectateur passe par tous les sentiments envers Mobutu : d’une certaine empathie pour un jeune dirigeant qualifié de « sympathique » au rejet d’un dictateur sanguinaire. Un point de vue anti-mobutiste n’est pas asséné dès le départ : chacun est libre de se faire progressivement son idée sur le personnage.

Enfin, pour les Français, Mobutu, roi du Zaïre a un petit écho particulier, puisqu’on y voit défiler Raymond Barre ondulant de la tête quand un chant local célèbre l’unificateur du pays, Jacques Chirac l’assurant du « respect dont il est entouré dans notre pays » ou Valéry Giscard D’Estaing affirmant qu’il est « un ami personnel du président fondateur ». Si tous trois sont aujourd’hui ridicules, il est surtout terrorisant d’imaginer que des soi-disant « démocrates » puissent afficher des liens « d’amitié  » avec un chef d’Etat qui a massacré des milliers d’hommes et spolié tout un peuple ! Si le film ne répond pas à la question que chacun doit se poser -« que faire ? « -, il a le mérite de nous engager dans une réflexion sur les factices et répugnants rapports Nord-Sud.