Après le mou du genou 28 jours plus tard, retour de Boyle à deux vitesses. Côté tic : un film à la sortie sans cesse repoussée, annoncé comme un conte de Noël et qui sort finalement en plein été. Cela ne présageait rien de bon. Côté tac : une excellente surprise, version rose et immaculée de Trainspotting, et qui renoue avec la pèche acidulée des débuts du cinéaste. L’histoire, basée sur un roman Frank Cottrel Boyce, suit le périple de deux gamins qui découvre un magot de livres sterling à la veille du passage à l’euro : ils décident d’écouler l’argent en aidant les pauvres. Pas de quoi crier au génie sur ce plan, le film reprenant les bases d’un best seller efficace et aux enjeux strictement limités au tout-venant de la fable sociale bonhomme.

L’intérêt de Millions est avant tout formel, ce qu’impose le film dès les premières séquences, assez hallucinantes de virtuosité. On sait le talent du cinéaste pour déployer un maniérisme visuel dénué de toute profondeur, une qualité lui permettant de situer son cinéma dans une sorte d’immédiat étincelant de la sensation. On avait par contre un peu oublié qu’à son meilleur, Boyle est aussi un beau cinéaste maniaco-dépressif, un monteur des hauts et des bas, un forain du trip oscillant entre pics et descentes, euphorie et gueule de bois. Cet enjeu cinétique, oublié depuis Trainspotting, n’agissant plus que par fulgurance dans 28 jours plus tard (les zombies hyperrapides), trouve ici un sujet parfaitement à sa mesure. Non seulement la chronique d’une famille décomposée touche et évite la caricature (le très beau personnage de la nouvelle mère qui débarque au creux de la famille), mais le sujet lui-même, si doucereux et désuet, dégage le terrain pour faire éclater le style du cinéaste sur un terrain inattendu.

Si l’on accepte le principe boulimique, archi-consumériste, qui gouverne la mise en scène de Boyle, alors Millions convainc pleinement : le déluge d’effets, la gamme de vitesses et de régimes d’image (apparition de Saints et de personnages à peine réels, accélérés et filtres) propulse le récit sans que jamais l’éclat des caractères ne s’en trouve affecté. Croqués avec une simplicité confondante, les personnages contrôlent à chaque instant l’inflation de tics visuels et l’avalanche de « trucs » (le côté kitsch du cinéaste) : il faut une belle naïveté, tout le contraire d’une hauteur cynique, pour arriver à un tel équilibre. Et Boyle y parvient avec une remarquable aisance, transformant la fable niaise en objet finalement très racé, tenu de bout en bout par la force de ses personnages. Un beau film.