Jeunes gens sous ecsta, lumières stroboscopiques et méandres amoureux : tel est le surprenant programme du dernier film de Hou Hsiao-hsien, auteur prolifique davantage habitué aux rites ancestraux (Le Maître de marionnettes, Les Fleurs de Shanghaï) qu’aux afters des nuits taiwanaises. La mise en scène du cinéaste ne sacrifie pas pour autant au délire épileptique, à la surenchère visuelle façon MTV. Au contraire, le grand Hou filme ses héros avec une sorte de retrait empathique, comme subjugué par un univers interlope dont il chercherait à préserver le mystère tout en l’inscrivant à même la pellicule. Le foisonnement romanesque des œuvres précédentes a quant à lui laissé place à un certain dépouillement narratif : Millenium Mambo s’attache à l’existence de Vicky (la ravissante Shu Qi), créature noctambule partagée entre une petite frappe brutale et un homme plus âgé mais presque aussi louche. Ce sera tout (ou presque), mais ce postulat minimal suffit à Hou pour déployer son art et nous offrir une nouvelle splendeur plastique riche en ralentis éthérés et autres plans séquences flamboyants.

Etrangement construit en flash-back alors que le récit se déroule à la veille de l’an 2001, le film joue sur le décalage entre voix-off crépusculaire et fragments du passé disséminés au gré d’un montage éclaté, au sein duquel l’espace et le temps répondent moins à des critères logiques qu’à un souci de nostalgie sensuelle. Un peu comme si chaque image était le témoin fragile d’une époque à jamais révolue, une période d’effervescence sentimentale évoquée non sans regrets par l’héroïne. Cette volonté de film-cerveau et labyrinthique axé sur la répétition ad libitum des mêmes motifs, donne naissance à un objet proprement fascinant, où les plages techno et le parcours erratique de Vicky exercent une rare puissance hypnotique. On regrette alors que les personnages de Hou ne soient pas plus passionnants, englués dans le cliché d’une jeunesse superficielle que le film ne parvient jamais à élever. Mais est-ce vraiment le but de l’auteur ? Ne s’agit-il pas plutôt du portrait d’une génération sans relief mollement portée par la fièvre house ? Si oui, à quoi bon ? Le travail d’orfèvre de Hou a beau nous laisser pantois, on peut se demander ce qui l’intéresse tant dans ce groupe de post-ados vains, désenchantés et fantomatiques. Pas assez substantiel pour mériter tant de faste et trop proche de ses héros pour prétendre à un regard critique, Millenium Mambo reste désespérément flou quant à ses véritables enjeux.