Des adaptations de Clive Barker, il n’y a guère que le premier Hellraiser (1987) à être entré au panthéon du cinéma d’horreur. Signées du maître lui-même, les aventures inaugurales des Cénobites exhalent aujourd’hui encore ce parfum enivrant de sang séché et de chairs suppliciées, cette odeur âcre mais inexplicablement capiteuse d’un voyage au bout du corps. Depuis ? Rien, tout juste un Candyman surestimé qui surnage, comme il peut, au milieu de la kyrielle de séquelles d’Hellraiser et autres direct-to-dvd qui ne retiennent de Barker que l’étal de boucherie. En 20 ans, l’auteur est devenu un trademark, un soi-disant label qualité qu’on claque sur les jaquettes comme d’autres sur les boîtes de steaks : certifié 100% viandard. Un tampon de Damoclès qui a longtemps été suspendu au-dessus de ce Midnight meat train. D’abord confié au chef maquilleur et aspirant réal Patrick Tatopoulos – aka le Stan Winston du pauvre – l’adaptation de la nouvelle de Barker semblait vouée au gémonies du cheap et de la production fauchée. Et puis la nouvelle est tombée : Tatopoulos débarqué, c’est Ryuhei Kitamura qui prend la relève. Adoubé par le succès de Versus et Godzilla final wars, ce rejeton mongolo de Takashi Miike est aussi éloigné que possible de l’univers eschatologique de l’écrivain anglais. C’est là tout son intérêt. Mais aussi sa limite.

Le Midnight meat train, c’est une rame de métro qui traverse la ville au plus tard de la nuit. A l’intérieur, un Goliath en costard-cravate trucide les passagers isolés à grands coups de marteau dans la tronche. Un jeune photographe obsédé par les bas-fonds va le repérer et le suivre dans les tunnels du subway. Lorsqu’il s’abandonne aux penchants anarcho-prépubères de Kitamura, Midnight meat train a tout du cartoon gore. Chaque séquence de meurtre est montée comme un épisode d’Happy tree friends, avec la mise en scène raffinée de rigueur : un couple attend la prochaine station, le tueur surgit et Paf ! un coup de marteau fait gicler l’oeil du gars au ralenti, la fille essaie de s’enfuir en hurlant et Zip ! elle glisse sur le nerf optique de son mec, le boucher lui agrippe le pied, la tire vers lui, caméra subjective, elle se retourne et Bing ! l’aplatissoir lui démonte la mâchoire, pas le temps de se remettre que Scratch ! le second coup lui arrache la tête qui va rouler à l’autre bout du wagon. Toujours en caméra subjective. Une humeur massacrante qui reste loin de l’énergie slapstick d’un Braindead ou d’un Sam Raimi, mais qui tranche, c’est toujours ça de gagné, avec le sérieux plombant et putassier dans lequel le genre se complaît depuis plusieurs années (Saw, Hostel, Martyrs…). Sous ses faux airs de sale gosse, Kitamura trouve, un miracle en soi, une juste distance entre humour noir (la mort du sidekick) et angoisse cradingue qui culmine dans une dernière bobine orgiaque. Et pour le coup authentiquement barkerienne.

Mais à trop considérer Clive Barker sous le seul angle tripaille, on en oublie l’une des forces motrices de son travail : le rapport au corps. Il y a quelque chose de Jérôme Bosch chez lui, de Francis Bacon aussi, qui le conduit à considérer la chair comme un terrain expérimental, à la violer, à la triturer, à l’équarrir, pour y caser un maximum d’angoisses graphiques et de sous-textes érotiques (qu’en aurait fait Fulci ou le Cronenberg première période ?). Une posture sado-maso qui ne peut s’incarner que dans une relation directe, physique au corps et à l’espace. Et Kitamura n’a de cesse de la contourner. Avec ses SFX en bois d’abord : adepte du tout digital, le réalisateur japonais numérise jusqu’aux giclures de sang et désamorce le moindre effet gore. Avec son style forain ensuite : si ses travellings à 360° et ses plan-séquences sous mescaline animaient Versus et Godzilla, ils ne font ici qu’annuler la géographie tubulaire des lieux et la terreur qui devrait en découler. Sans jamais rien proposer en retour (derrière la cascade d’hémoglobine, Kitamura ne déraille jamais vraiment). Quelques éclats mis à part, il faudra attendre l’ultime quart d’heure pour que le film se range enfin à cette franche horizontalité, favorise les effets spéciaux physiques et retrouve un semblant d’affects. Mieux vaut le savoir avant d’embarquer : en fait d’express pour l’enfer, le Midnight meat tient d’avantage du train-fantôme.