Qu’est-ce qui distingue Mauvaises fréquentations d’une fiction adolescente classique ? Juste un événement spectaculaire, un paroxysme stupéfiant, le plus sordide des chaos juvéniles. Jusqu’à ce « plot point » inattendu, rien de bien nouveau : une timide sensible (Delphine / Maud Forget) et une rebelle écorchée vive par le suicide de sa sœur (Olivia / Lou Doillon), une terreur au visage d’ange (Laurent / Robinson Stévenin), les premiers émois sexuels, l’utopie d’un voyage en Jamaïque (Bob Marley oblige), la tentation de la mort (cf. Placebo), les parents inquiets, etc. Bref, un sympathique catalogue de clichés sur la puberté, avec ses petits moments de grâce (le vol dans le grand magasin) et ses passages plus convenus (la courte euphorie amoureuse).

Seulement voilà, Jean-Pierre Améris ne s’en tient pas là, et décide soudain de donner un grand coup d’accélérateur à son récit : Laurent est un vrai monstre en herbe et, profitant de l’amour sans bornes que lui voue Delphine, il la met à contribution pour payer son billet pour Kingston. Par amitié, Olivia va aider cette dernière dans sa tâche, et les deux pauvres filles vont se muer en stakhanovistes de la pipe (à 50 balles l’une, tout le collège ou presque va y passer). Tout cela est heureusement filmé avec une pudeur touchante qui empêche le film de sombrer dans la complaisance douteuse. En même temps, c’est cette espèce de classicisme un peu rigide que l’on pourrait reprocher au cinéaste. Toujours à la traîne de ses interprètes (tous excellents), il ne sort jamais de ses gonds, ne se laisse à aucun instant contaminer par la passion de ses personnages, leur énergie désespérée, leur folie aveugle. Malgré son sujet téméraire (tiré d’un fait divers), le film ne parvient pas vraiment à bousculer le spectateur, à l’embarquer au cœur de ces territoires étranges et relativement peu explorés de la pulsion adolescente -dans ce qu’elle a de plus trouble et de plus radical. Il faut dire que les modèles d’Améris se situent du côté de Truffaut et de Becker (avec, en prime, un extrait bien pesant de Casque d’or), parrains certes estimables mais tout de même en retrait d’une certaine modernité cinéphilique. Mauvaises fréquentations souffre ainsi d’un manque d’audace dans sa mise en scène, de l’absence d’un regard qui ose et qui s’impose, d’une acuité subjective, voire plastique. Améris préfère les faits à l’effet, ce qui empêche son film de s’élever au-dessus de la chronique sensible un brin cruelle.