Version appauvrie et souvent bêta du grand frère Ridley, Tony Scott possède une oeuvre irrégulière, retorse à toute analyse, où se chevauchent films admirables (Les Prédateurs, Ennemi d’état) et vacuité sans fond. Si l’oeuvre de Ridley Scott n’est pas avare en mauvais films, elle demeure identifiable en grandes périodes, grandeur des années 80, chute des 90’s, renaissance avec Gladiator à l’aube des années 2000. L’oeuvre de Tony, elle, est éclatée de bout en bout entre trivialité et sophistication, nihilisme et droiture, ambiguïté côté pile (son côté Schumacher) et machine de guerre côté face (son côté Emmerich). En ce sens, Man on fire est exemplaire car il condense ici une multitude d’états outranciers qui paradent dans le même métrage alors qu’ils ne faisaient avant que se répondre, ailleurs, de films en films.

Réac à tendance fascisante depuis les vampires aryens des Prédateurs, Scott n’est pas un doux : jamais plus à l’aise que dans les années reaganiennes ou dans l’ombre du bourrin Bruckheimer, il demeure le plus souvent une sorte de faiseur styliste nageant comme un poisson dans l’eau dans les atmosphères les plus délétères. En témoigne le pitch de Man on fire, apologie de la vengeance où un ex-agent de la CIA alcoolique, reconverti en garde du corps, s’en va buter les méchants preneurs d’otages et tueurs d’enfants qui pullulent dans un Mexique réduit en état de non-droit absolu. Rien à attendre de ce côté là : le film suit son programme à la lettre, comme un reportage sous acides, enchaînant les scènes ultra-complaisantes sur un mode si ouvertement primaire qu’il en devient jouissif, reflux du bon vieux temps des Cobra, Contrat et autres Commando. Pour peu que l’on accepte sa trame décérébrée, sa vision tiers-mondiste ordurière, Man on fire impressionne énormément lors de la première partie : montée en tension orchestrée de main de maître, style eighties aqueux sous-tendu par l’horlogerie musicienne du découpage, démonstration d’une maîtrise cinétique totale en deux plans trois mouvements (les fausses alertes dans la voiture).

Viennent ensuite les scories de l’esthète, la vulgarité revenant au galop lorsque tout se détraque (la partie « ange exterminateur », assez pauvre d’un point de vue dramatique, noyée sous les décharges cathartiques). A cet instant, le film tient sur un fil, battu par les extrêmes, entre la grâce et l’abîme. Mais Scott, artisan éprouvé, retombe toujours in extremis sur ses pieds : la dernière partie retrouve en intensité émotionnelle les pics hyper-maîtrisés du début, et à aucun moment le film n’a sombré tout à fait. Reportage halluciné, aux limites parfois du grotesque (le cinéaste demeure un grand trivial, comme dans la scène hilarante des rots codés pendant la leçon de piano), Man on fire s’impose dans sa succession délirante d’états contradictoires. Signe non seulement d’une grande souplesse de ton, plus complexe qu’elle n’y paraît, mais aussi d’une véritable étrangeté : Scott met un peu de folie et de vertige dans la ronde sèche des blockbusters républicains post-11-Septembre.