Selon Maurizio Nichetti, nos ombres sont plus vivantes que nous-mêmes. L’héroïne de son dernier film, Luna Di Capua (Iaia Forte), va en faire l’expérience. Institutrice dans le Milan des années 50, Luna est une femme rigide, voire austère. Ses rêves se sont envolés depuis bien longtemps, et son monde ne vaut que pour son travail. Mais grâce à une lanterne magique échappée d’un cirque ambulant, l’ombre de Luna va s’émanciper de son origine charnelle, revêtir l’apparence de sa « génitrice » et mener sa propre existence, de manière à la fois intense et légère, comme libérée d’un certain poids social. La vraie Luna finira ainsi par beaucoup apprendre de son double…

Le message du cinéaste est simple : il ne faut pas avoir peur de ses désirs et de ses ambitions, et surtout ne jamais les laisser à la charge de son ombre (derrière soi, à la traîne, jusqu’à les oublier). De par ses objectifs, Luna e l’altra ressemble au film de Noël idéal, chargé de bonnes intentions, à la limite du vieillot et du passéiste (ah ! les couleurs joliment surannées), ancré dans un univers presque irréel peuplé de sympathiques enfants bohémiens, de putes joyeuses et d’animations naïves. Ce côté systématiquement sage, lénifiant et bien-pensant -que ce soit dans les intentions ou leur mise en images-, produit des effets contradictoires, un peu comme devant un Capra. Face à Luna e l’altra, le spectateur est confronté à quelques alternatives dépendantes en grande partie de son tempérament. Prenons deux spécimens. L’un : euphorique, d’un naturel optimiste, se laissera bercer par la micro-poésie distillée par le travail de Nichetti, sorte de magicien facétieux peu avare de gags soi-disant efficaces (exemple : après avoir essuyé le tableau de la classe, le concierge se retrouve couvert de craie) et de recherches artisanales (Luna privée d’ombre, et vice versa). L’autre, légèrement misanthrope, doté d’un esprit acerbe, ou tout simplement déprimé, s’insurgera contre l’absence d’ambition et de portée d’un tel projet, son insouciance revendiquée, avant de confirmer le manque d’audace du cinéma contemporain italien (du moins, celui qui nous est proposé en France). De toute façon, le film de Nichetti ne provoquera pas de débats véhéments : il s’agit avant tout, comme diraient certains, d’un « objet gentil ».