Alors que s’écoule Los Muertos, on ressent plusieurs évidences. D’abord que ce n’est pas rien, le second film de Lisandro Alonso, à peine 30 ans, révélé par La Libertad il y a deux ans peut-être. La Libertad, c’était quelques jours avec un bûcheron, presque toujours seul à l’image. On le voyait manger, travailler, dormir seul dans la pampa. Deux, trois regards à la caméra. Ensuite on sent qu’on tient là un film-à-festival qui fera son effet, sur lequel ils seront au moins quelques-uns à crier au génie. Enfin on n’est pas sûr d’en faire partie, parce qu’on n’est pas sûr de tenir là un objet absolument décisif.

Normalement, dans les histoires, les rivières on les remonte. Prenez Apocalypse now par exemple. Là, le personnage en descend une, tout au long du film, s’arrêtant ici pour prendre son miel à un essaim d’abeilles, là pour tuer et dépecer une chèvre de son poignard habile, plus loin pour coucher avec une femme. Lui, c’est un homme aux traits très secs, qui sort de prison où il fut mis pour avoir tué ses frères, apprend-on. D’ailleurs les premières images du film montrent des cadavres et à côté, coupé au niveau du short, un homme et une machette. Maintenant il sort de prison et file sur la rivière, en barque, retrouver sa cabane dans la forêt. Cette descente, ce sens-là, c’est peut-être la vraie idée forte du film. Elle dit à peu près cela : qu’il y a au moins une histoire possible (celle de Los Muertos, par exemple) qui ne se résout pas dans la remontée à la source, aux origines. Qui évite de répéter que l’existence de la fiction ne tient qu’à un fil, celui qu’il faudrait renouer avec quelque totalité perdue. Descendre, pas re-monter, c’est affirmer croire toujours à la virginité des récits -virginité, comme il y a une forêt vierge. C’est la possibilité recommencée d’un tel récit -et de la netteté parfaitement nue du regard qui le présente- que clame ce choix de direction.

Alors ça gêne, cette première image de muertos, ces cadavres dont à la fin du film on se demande d’un coup qui ils sont vraiment. L’avant ou la destination du voyage ? Si c’est la destination du voyage -comme le film le laisse entendre, mais entendre seulement- alors il n’aura servi à rien de descendre la rivière, parce que l’alentour, la superbe Indifférente Nature ne l’était pas tant que ça. Sous l’innocente cruauté du regard, il y avait un cinéaste dont on voit, d’un coup, où il voulait en venir. Et comme on n’est pas sûr non plus que filmer ainsi -dans l’étirement absolu- une nature à qui l’on voudrait faire cracher un mystère (mais sans en avoir l’air) soit autre chose qu’une radicalité de circonstances, on ne criera pas au génie, aussi parce que le film caresse décidément trop de vérités d’évidence.