Au lieu de leurs habituels travaux de maçonnerie et de terrassement, deux immigrés mexicains sont engagés pour commettre un assassinat. Munis d’un fusil à canon scié, ils vont passer la nuit entière chez leur victime. La caution du producteur Reygadas qui trône au générique incite à la méfiance. On retrouve dans Los Bastardos cette même confusion malheureuse entre pose et pause, cette manière au fond bien confortable d’étirer les plans sans les ébrécher vraiment. Impossible de ne pas ressentir une pointe d’agacement face à ce petit confort auteuriste et taiseux qui prétend au vertige mais ne regarde jamais dans le vide. L’académisme bon teint ne dit pas toujours son nom. Heureusement, autre chose est à l’oeuvre en filigrane. Un regard singulier, une inclination pour l’anecdote qui évite à Los Bastardos l’écueil de la leçon de chose, le cantonne dans le strict cadre de son histoire sans tomber dans l’habituelle démonstration de force sociétale.

Ce n’est qu’une fois installé dans le pavillon que le film trouve son rythme étrange, languissant, indifférent au dénouement et pourtant hanté par son inéluctabilité. La grande anfractuosité qui s’ouvre dans le récit ne cesse d’acculer le meurtre au pied de la conclusion. Tueurs et victime piquent une tête dans la piscine, fument un peu de crack, baisent pour s’occuper, moins gagnés par le syndrome de Stockholm (la peur est prégnante), que désireux de repousser l’heure fatidique, de gagner du temps. Il y avait là matière à un hédonisme désespéré et tranquille, une variation possible sur le finale de Ken Park, mais Escalante entretient un rapport à la chair trop déprimant pour s’y abandonner. Comme quelques autres, il joue plutôt sur la froide banalité des corps, expose leurs imperfections sans fard, puis nous culpabilise par ricochets de ne savoir en apprécier les beautés. Il faudra en finir un jour avec ce prosaïsme blafard qui, sous couvert de réalisme, nie les pulsions du spectateur pour mieux les lui renvoyer à la gueule.

Expédiée en cinq minutes, la sanglante conclusion met un terme à cette nuit circulaire, et prend le film entier par surprise. Le coup de feu fantasmé mais longtemps retardé troue en son milieu le flux monotone d’un plan-séquence, l’éclate de l’intérieur. Par sa soudaineté, cette explosion de violence cathartique rappelle d’abord celle de The Great ecstasy of Robert Carmichael, mais sa frontalité gore sans équivoque et le sentiment in extremis qu’elle n’était pas forcément prévue au programme, la réduisent quasiment au rang de grotesque accident de parcours. Un décrochage de dernière minute qui dit l’essentiel de ce Los Bastardos, petit film attendu mais rattrapé par ses bribes.