Révélé par In the bedroom, drame indépendant oscarisable, Todd Field poursuit sa trajectoire sundancienne chic. Little children obéit gentiment à la grammaire du portrait croisé, genre plébiscité par le gratin des acteurs hollywoodien, tout heureux de se dévergonder dans les règles de l’art. Kate Winslet joue donc une épouse délaissée, trentenaire perdue dans une résidence pavillonnaire sinistre peuplée d’insupportables desperates housewives, et démarre une histoire de cul avec un séduisant homme au foyer, lui-même castré par une épouse trop belle pour toi (Jennifer Connelly, égale à son aura cinéphile). Le film compte également un pédophile fraîchement sorti de prison dont la repentance est fortement compromise par l’ignoble esprit petit-bourgeois du quartier.

Il y a trop à redouter dans ce film pour qu’on s’y laisse entraîner tout à fait. Non que Todd Field soit prodigieusement mauvais, mais il semble ignorer l’extrême banalité de son sujet, rongé jusqu’à l’os. Pire, le réalisateur se prend souvent à rêver au chef-d’oeuvre. Son film se gorge ainsi d’une prétention qui surpasse par endroits la gourmandise fastoche d’American beauty ou celle plus jouissive et cool d’un Altman. Il ne perd jamais de vue l’espoir de toucher à la quintessence du genre citant à tout va les références les plus classes. Madame Bovary se voit ainsi paraphrasé avec insistance, Field risquant même un compte rendu littéraire par un comité de quinquagénaires pittoresques ou séniles. Invitée vaguement contrainte, Winslet détient la vérité de l’analyse quand ses congénères, trop ploucs ou socialement cadenassées, passent radicalement à côté. Il en va de même pour Field : petit prof, premier de la classe qui par litanies post-modernistes, se couronne roi des sociologues.

C’est dommage car le film n’est pas exempt de qualité, à commencer par sa distribution. Grands ou seconds rôles (le pédophile, sacrée tronche de pervers triste), les acteurs cisèlent régulièrement les excès métaphorico-poétiques de la mise en scène (voix off pour le fun, étrangeté en contreplaqué, comme cette séquence où, à quatre pattes sous la table, Jennifer Connelly découvre son cocufiage, fascinée par les ongles bleus de sa rivale). Le corps plantureux de Kate Winslet et sa moue post-adolescente creusent l’ambiguïté du personnage, objet sexuel triste et affaissé. Son partenaire, Patrick Wilson (le pédophile martyrisé d’Hard Candy), fait mieux que tenir la corde. Physique de blanc bec au regard gris métal, il porte en lui un mélange idéal d’élégance assoupie et de violence rentrée. Souvent, il fait vaciller l’autosatisfaction de la satire vers un mélo dépressif, frustré. C’est lui le véritable champion flaubertien, autant spectateur de sa condition que de sa déchéance, dandy fondu dans la normalité. On regrette juste qu’il n’entraîne pas davantage le film dans sa torpeur cotonneuse.