Près de vingt ans séparent Le Faussaire des Trois vies de Rita Vogt. Deux décennies pendant lesquelles Volker Schlöndorff a délaissé l’Allemagne pour les Etats-Unis (Mort d’un commis-voyageur, La Servante écarlate, Palmetto) ou de lourdes coproductions européennes (Un Amour de Swann, Le Roi des aulnes). Une parenthèse longue et chaotique qui, en l’éloignant de son pays, l’a également coupé de l’ancrage dans le monde contemporain qui avait constitué la force de son meilleur film : L’Honneur perdu de Katarina Blum.

Les Trois vies de Rita Vogt marque donc le retour aux sources d’un auteur emblématique du cinéma allemand des années 70 dont la carrière s’est orientée, depuis ses débuts, autour de deux axes majeurs : l’adaptation littéraire (Musil, Heinrich Boll, Gunther Grass, Yourcenar, Proust, Tournier) et l’interrogation sur l’histoire de son pays. Ce dernier point est au cœur même de sa dernière œuvre qui retrace, dans les années d’avant la chute du Mur, le parcours d’une jeune terroriste qui, après quelques actions marquantes à l’Ouest, fait le choix d’une existence nouvelle en RDA. Protégée par l’administration communiste, Rita change par deux fois d’identité et tente de se réaliser dans un mode de vie qui correspond à ses idéaux tout en fuyant le spectre du passé qui, au moment de la réunification, finira, bien entendu, par la rattraper.

Co-écrit par Wolfgang Kohlhaase, scénariste vétéran de la DEFA, le film est le premier sujet original auquel Volker Schlöndorff se soit attelé depuis 1972. En rompant avec une longue série d’adaptations romanesques et de films de prestige, il se coupe aussi des compromis impliqués par de lourdes productions aux enjeux financiers plus importants. Cette rupture sied de façon inattendue au cinéaste qui, affranchi de multiples contraintes, oublie l’académisme raide et simplet dans lequel il s’était vautré pour s’immerger dans la thématique qu’il s’est choisie : les incidences du politique sur une destinée individuelle. Peu d’effets de style ici, Schlöndorff optant pour un style réaliste neutre (caméra-épaule, éclairage volontairement terne et non signifiant) qui renoue avec la tonalité abrupte de ses œuvres de jeunesse. En s’interrogeant sur l’histoire récente de l’Allemagne, il reconquiert ainsi une identité cinématographique qui s’était fragmentée sous le poids de la dispersion géographique et thématique. Sans être un grand film, Les Trois vies de Rita Vogt marque néanmoins la renaissance d’un auteur que l’on croyait perdu. On lui pardonnera donc volontiers certaines de ses faiblesses (notamment une esthétique télévisuelle un peu molle) d’autant plus qu’elles sont contrebalancées par une interprétation de premier ordre.