On éprouve une impression étrange, à la vision de ces Noces rebelles (Revolutionnary road) : celle d’assister à un épisode rallongé de Mad men, la belle série de Matthew Weiner. Même forme un peu amidonnée, même photographie, mêmes trajets en train, semblables intérieurs, secrétaires qu’on détrousse ou femme au foyer prisonnière d’un cauchemar feutré. Mais ce que déploie la série à longueur d’épisodes se cristallise dès l’entame dans le film de Sam Mendes. Soit un jeune couple d’américain, Frank et April Wheeler, au mitant des années 50, dont les rêves d’une vie non conformiste et le désir d’ailleurs (aller en France) s’échoue rapidement contre l’obligation tacite de se conformer à un mode vie « réaliste ». A la conformation consentante de Frank, qui se soumet peu à peu aux règles à la faveur d’une carrière professionnelle en devenir, répond le désespoir grandissant d’April, dont la condition de femme au foyer met face, et sans échappatoire possible, au vide de sa destinée.

Pourquoi la forme un peu figée de Mad men ressemble peu à peu à un commentaire critique de ce que vivent les personnages (le mode de vie étouffant de cet idéal publicitaire vendu sous la formule célèbre de l’« american way of life »), quand la mise en scène un peu guindée de Mendes semble relever davantage d’une sorte d’académisme hollywoodien ? Ce hiatus tient sans doute à la fois à des questions de formes et à des problématiques d’écriture. Le retour du même, le caractère répétitif qui fonde toute série sied bien à l’univers de Mad Men, consubstantiel à son sujet, créant à la longue une sorte d’impression de facticité au fond pas si éloigné d’une série comme Le Prisonnier. Tout ce qui, dans la série, relève du non-dit, de l’éclosion progressive de névroses ou de manies allant parfois jusqu’à la bizarrerie est, dans ces Noces rebelles, étalé au grand jour, d’une manière habile mais démonstrative. Chez Mendes, tout est dit par des personnages plus intelligents que la moyenne, sans cesse dans le commentaire d’eux-mêmes (leur conscience de la vacuité ambiante, la question de savoir s’ils sont des êtres d’exception ou des Américains moyens).

Le film à thèse n’est jamais très loin, et avec lui son cortège de pathos et de discours. Pour autant, au delà de son académisme, Mendes reste un metteur en scène. En témoignent certains moments où, avant que le scénario n’explicite un peu trop pesamment les enjeux, le réalisateur livre des indications sur les personnages par la seule force d’une image. Ainsi de ce plan sur le voisin des Wheeler, de dos, au moment où ceux-ci dévoilent leur projet de partir à Paris, dont la durée savamment orchestrée suffit à saisir le trouble qui anime l’homme (et qui n’est pas sans rappeler d’ailleurs, certains plans de personnages de dos dans Mad Men). D’autres moments sont moins heureux, où Mendes ne fait qu’illustrer, avec un réel savoir-faire mais sans point de vue critique, les scènes de débats ou de confrontation entre les personnages. Si pourtant on ne s’ennuie jamais devant ces Noces rebelles, c’est aussi par la force des acteurs, et pas seulement parce que Kate Winslet, et plus encore Leonardo Di Caprio, sont impressionnants. Mais aussi parce que le film joue avec la mythologie (reprendre le couple de Titanic), le passé des acteurs, et que cette épaisseur entre en résonance avec le drame que traversent les personnages. L’émotion tient à ce que d’un plan à l’autre, une bascule a lieu sur leur visage, là encore juvéniles, ici déjà vieux, comme si leur corps arrivaient à un point de jonction, celui-là même qui est le théâtre du dilemme minant les personnages.