Assez insaisissable ces dernières années, le cinéma d’Alain Corneau s’est dispersé plutôt maladroitement entre une pathétique et foireuse grosse production exotique (Le Prince du Pacifique, bide polynésien) et l’adaptation laborieuse d’un bouquin d’Amélie Nothomb (Stupeur et tremblements). Recentrage toute avec ces Mots bleus qui ne fâcheront personne, mais n’enthousiasmeront pas grand monde. C’est le privilège du double boulet film de gosse / drame pathologique, cette stagnation dans le ventre mou des fictions consensuelles. Occasion en or, pour Corneau, de se relancer en bouleversant tout net les amateurs du genre.
De quel mal souffre la petite Anna ? Un mal d’amour dira quelque exégète bienveillant et pas regardant sur ce que l’histoire charrie de psychologie fastoche et de sentiments gentils. En tout cas Anna ne parle pas, s’est toujours réfugiée dans un mutisme total alors qu’elle ne souffre d’aucun handicap physiologique. D’une bonne névrose enfantine dira-t-on plutôt, rapport à sa maman (Sylvie Testud) qui elle-même a un rapport compliqué au mots, qu’elle écrit et déchiffre avec la plus grande peine. Qui entoure sa fille de tant d’amour et d’un système de communication si douillet qu’Anna s’y réfugie comme dans un cocon. D’une école à une autre, où la môme se heurte à l’incompréhension de ses petits camarades, Anna atterrit dans un institut pour enfants sourds et muets, elle qui ne l’est pas. Et se trouve aux bons soins de Sergi Lopez qui, on s’en doute, va guérir l’enfant et sauver la mère, par l’amour. Encore qu’à distance respectable, on arrive là dans le voisinage du mythique T’aime de Patrick Sébastien, film phare du tournant du siècle, qui prônait contre toute thérapie tristement positiviste une injection massive d’amour absolu pour soigner tous les bobos de l’âme. Sans rire, Les Mots bleus appelle plutôt pour tout commentaire un vague champ lexical de la compassion et de la sensibilité. On y souscrit un peu : pas pire qu’autre chose, le film se laisse suivre dans son chemin mille fois battu.