On commence par la métaphore : nous sommes tous des méduses. Donc des créatures entre deux eaux, qui urticantes, qui translucides, de toutes les couleurs, entraînées par le courant. A l’écran, ça donne :
– une jolie serveuse paumée qui regarde les cafards dans son appart décrépi,
– une petite fille abandonnée, muette aux grands yeux et aux cheveux toujours mouillés,
– un couple fraîchement marié qui passe une lune de miel de raccroc (la fille s’est cassée la jambe) et se pose plein de questions (elle m’aime ? Il m’aime ? Mais qui est cette charmante voisine ?),
– une mémé grincheuse qui déteste puis adore son employé Philippine (incommunicabilité, peur de l’étranger, injustice du tiers-monde, chienne de vie).
L’ennui du film choral tient justement dans sa propension à enfiler les images poétiques au kilomètre avec une complaisance épouvantable. Sommet absolu du genre, Les Méduses est une sorte de gros rébus prétentieux sur la vie, la mort, les traumas d’enfance, les petits boulots pourris, les mères intrusives et plein d’autres choses encore. Et puis quoi ? Rien, le film a l’apparence d’un labyrinthe dont ses auteurs auraient perdu la clé. Mais Etgar Keret et Shira Geffen, responsables de ce sinistre spectacle, assument parfaitement cette notion de terre brûlée fictionnelle. Il règne dans leur film un sentiment d’impunité profondément désagréable, où arnaque et sens du pathétique se donnent la main sous prétexte de flottement auteuriste. Si aberration de scénario il y a (pic : un flic dans les nuages confie une enfant perdue à une parfaite inconnue), le symbolique reprend le dessus quand ce n’est pas le tour de la psychologie de comptoir.
Au final, c’est la réalité qui s’impose, cruelle, sans issue, ni flottement : le film est nul, quels qu’en soient les morceaux, bout à bout creux, dévitalisé à mort. Le mélo nous refait Eyes wide shut dans un hôtel Formule 1 avec une pirouette tragique, histoire d’injecter une louche d’émotion. Le portrait de jeune fille perdue dérive dans l’album de famille animé avec un bonhomme mystérieux qui tend une glace à la caméra et une actrice qui fait les yeux ronds. Le duo tiers-monde troisième âge s’avère le segment le plus potable, tout ce dont manifestement le film se refuse à être: chronique sociétale humaniste et gentillette, sans autre style que celui d’un banal téléfilm. Consternant.