Nouveaux venus dans la sphère des jeunes cinéastes américains indépendants, les frères Polish signent ici leur premier long métrage, l’un à la réalisation et l’autre au scénario. Une complémentarité qui va de pair avec le sujet du film, récit oppressant sur des jumeaux siamois, Blake et Francis. Tout l’intérêt des Frères Falls se résume en fait à l’originalité du projet et à la manière dont deux artistes non handicapés revisitent leur relation par le biais d’une fiction cruelle. Qu’advient-il d’une fratrie physiquement indivisible ? Comment se redessine le monde à partir d’une telle donnée ? La fusion spirituelle demeure-t-elle possible lorsqu’il est question d’amour et de sexe ? Des questions déjà posées il y a dix ans par le Faux-semblants de Cronenberg, à ceci près que, chez ses créatures, le lien était volontaire et non imposé par la nature.

Bien moins passionnants que leur aîné canadien, Michael et Mark Polish semblent avoir dépensé toute leur énergie dans le déploiement d’un univers « malaisant ». Chambre d’hôtel glauque, héroïne prostituée (Michele Hicks, sosie de Madonna version Frozen), photo sombre, détails qui frappent par leur curiosité ostentatoire -la main-crochet du chauffeur de taxi, les freaks de la soirée d’Halloween. C’est un peu comme si la singularité des protagonistes avait condamné les cinéastes à leur donner vie seulement au sein d’une ambiance proche du fantastique. Le bizarre, dans Les Frères Falls, se doit d’engendrer du bizarre. Peut-être par peur d’inscrire dans le réel des individus extraordinaires, les frères Polish échouent à humaniser Blake et Francis. En se réfugiant dans un hermétisme savant où les corps-monstres évoluent selon une chorégraphie sagement déterminée, le film ne produit qu’une nappe continue et douce d’étrangeté lasse. Pourtant, cette fatigue presque palpable finit par intriguer vraiment. Les siamois constamment abattus et malades, leur résignation fataliste à l’idée de leur mort prochaine, l’impossibilité pour Blake de vivre un jour son amour pour Penny, tandis qu’elle-même plonge sans illusions dans leur relation : un ensemble de signes dont la tristesse non simulée permet à ces Frères Falls d’échapper au toc total. A défaut d’une véritable inspiration, les frères Polish ont presque trouvé un ton.