Conseil aux jeunes auteurs en quête de reconnaissance : laissez tomber l’autofiction. Préférez-y la littérature pour enfants. Si possible sous forme de saga initiatique en plusieurs volumes. Pour peu que les ‘tites n’enfants y croient un peu, ça pourrait mener aux portes d’Hollywood. Là-bas, depuis le triomphe d’Harry Potter, le moindre producteur est à l’affût des droits de n’importe quelle série de bouquins où des gamins découvrent au contact d’une Némésis maléfique le sens de la vie en plusieurs volumes. Ne pas oublier de faire mourir un ou plusieurs personnages relativement secondaires. Et si c’est sous ambiance gothique, c’est encore mieux, ça évitera aux storyboarders d’avoir à trop se décarcasser.

Voilà un cahier des charges parfaitement rempli par Les Désastreuses aventures des orphelins Baudelaire. Avec un quelque chose en plus : une savoureuse ironie, ce sel qui fait l’intérêt des livres de Daniel Handler comme du film qui en est tiré. Sans elle, le périple de trois mômes privés de parents, poursuivis par leur oncle diabolique, serait assez insipide, un sous-Famille Addams manquant de piquant. Dans les bouquins, cette tonalité servait de rhéostat à la tension, venant désamorcer in extremis les situations sur le point de basculer dans l’atroce. Même involontaire, la grande idée de la production reste de l’avoir conservée, jusqu’à la voix-off d’un narrateur aux airs de nécrologiste. A chaque scène, le second degré grandit dans cette chronique familiale décalée, au point de prendre le dessus pour submerger le numéro de Frégolisme de Jim Carrey, démasqué à la moindre occasion. Et aller vers un étonnant cas de figure dans le blockbuster américain, en pratiquant tout au long du film une politique de la terre brûlée : chaque scène ne manque pas de démystifier la précédente, de pointer du doigt ses artifices.

Une entreprise fascinante si elle était au service d’un point de vue. Point de vue que Brad Siberling, réalisateur particulièrement anonyme, ne parvient jamais à imposer, malgré l’absolue réussite d’une direction artistique mise à son service. N’est pas Tim Burton qui veut… A moins que le principe de chausse-trappes ait été poussé à son terme, en laissant planer l’influence de l’auteur de Batman returns et d’Edward aux mains d’argent : d’une séquence d’ouverture très taquine à la répétition des situations de plus en plus démesurées, en passant par le plaisir masochiste à voir Carrey tomber les masques les uns après les autres, il n’est pas impossible que ces Désastreuses aventures… soient en fait un hommage à Tex Avery. Qu’il soit -relativement- pervers, ne le rend que plus sympathique.