Réalisé par le co-scénariste de La Vie aquatique, produit par Wes Anderson, voici un film d’emblée ami. Les Berkman se séparent, tout est dans le titre – en v.o. : The Squid and the whale, soit « le calamar et la baleine » (pas très vendeur, certes). Les Berkman, c’est un couple d’intellectuels new-yorkais, ascendant Brooklyn, qui, après une quinzaine d’années de vie commune, décide de divorcer. Le film est raconté du point de vue de leurs deux enfants, Franck et Walt, 12 et 16 ans, mais non, ce n’est pas Kramer contre Kramer, encore moins Génial, mes parents divorcent. La formule, ce serait plutôt Scènes de la vie conjugale + La Famille Tenenbaum. Côté Bergman, des conversations sur canapé, des disputes, des réunions de crise, mais jamais le film ne sombre dans les clichés du genre. Côté Anderson, cet espèce de bricolage existentiel sans cesse attiré par l’accidentel, le ratage, l’absurdité, les petites choses : Papa Berkman fait la cuisine pour ses fistons, fait tomber un bifteck, ni vu ni connu le remet dans la poêle, persuadé que personne ne l’a vu -erreur. Voilà tout le film qui tient là-dedans. Goût pour les saynètes aussi, les situations malaisantes (toutes les séquences sur le cours de tennis, avec William Baldwin en cool man qui n’est pas sans rappeler le yeah-man évoqué par Benoît Régent dans J’entends plus la guitare : éternelle figure de l’amant sportif, dont le film s’amuse), pour ce qui fonctionne de travers, ce qui se produit au moment où ça ne devrait pas se produire, etc. La sorte de désordre absurde qui vient ruiner les efforts. Quand Berkman junior demande à Berkman senior, romancier de moins en moins coté, de lui dédicacer l’un de ses livres, l’auteur s’exécute d’un pathétique : « Amicalement, Bernard Berkman », avant d’ajouter, in extremis et entre parenthèse, un piteux « (Dad) ». On sent bien là non pas la patte du producteur Wes Anderson (rien à voir, dans la mise en scène, avec les vignettes du cinéaste texan), mais la consanguinité de son cinéma avec celui de Baumbach : même inlassable exploration de la difficulté de passer après les pères, même accidents pleins de mauvaise foi révélateurs, façon Sartre, d’une cassure dans les liens familiaux.

Nulle trace de graisse, forcément, dans ces 81 minutes bien envoyées (même si, étrangement, il manque 7 minutes par rapport à la version festivalière du film). Frappent aussi sa forme, et les moyens techniques que s’est donné le film, notamment pour faire vivre l’époque où il se déroule, 1986. S’il n’était ce carton ouvrant le film et situant l’action, peu d’indices : Blue velvet au ciné, le père Berkman roule en 504, certains personnages habillés comme des sagouins, mais plutôt que des accessoires, c’est le super 16 tenu à l’épaule, mais sobrement (par Robert Yeoman, également chef-op’ de Wes Anderson) qui témoigne du temps. Film de famille, en somme. La beauté de The Squid and the whale (tant pis pour les fruits de mer, en version originale c’est plus classe) tient à cela : cette intense sensation de proximité avec les personnages, qui permet au cinéaste d’éviter les grandes scènes (de ménage, de réconciliation, etc.) et de se concentrer sur ce qui échappe de la bouche (les mots et les baisers) ou de la poêle (les biftecks). La vitesse et la concision du film ne font pas obstacle à cette intimité créée en une poignée de plans ; au contraire, elles en garantissent la tenue, par un rythme tout en séquences courtes et en ellipses. Toujours plus serré sur les enfants, le film trouve un ton étonnamment juste pour évoquer l’implacabilité d’une époque qui vous coule entre les doigts, tandis que le Super 16 enregistre, fragile et fier, la naissance de la mélancolie.