Retour au pays pour John Woo. Après dix ans d’exil américain en demi-teinte (entre Volte-Face et Paycheck, un monde), le plus romantique des cinéastes hong-kongais est revenu en Chine pour une fresque d’ampleur biblique. Récit épique de la légendaire bataille de la Falaise rouge, Les 3 royaumes arbore tous les atours de la résurrection : un budget pharaonien, les plus grandes stars locales et surtout un cinéaste libéré des fers hollywoodiens. Une première depuis l’hyperbolique A Toute épreuve. Pendant 2h25 de combats furieux et d’intrigues politiques, d’amours échevelées et d’héroïsme aveugle, c’est pourtant un drôle de sentiment qui prédomine durant la séance, l’impression que l’essentiel est là, en place et rutilant, mais qu’on a perdu quelque chose en route, une légèreté unique, cette fuite en avant qui transformait les films de Woo en courants d’air. Théoriquement libre, le cinéaste n’a jamais semblé si contraint.

Alors oui, on nous glisse dans l’oreillette que cette version est incomplète. Sorti en Chine en deux films et 4h40, Les 3 royaumes a été largement mutilé, remonté, reconstruit pour son exploitation internationale. 2H20, soit un film complet, sont restés sur le banc de montage. Pour qui sait la prépondérance de la scansion dans le cinéma épique, il est facile d’imaginer les dégâts structurels causés par ce genre de cisaillage sauvage. C’est finalement un menu best-of qu’on nous sert, une espèce de pot-pourri chargé jusqu’à la gueule de batailles et de gerbes de sang, mais dénué d’enjeux comme de mise en tension. Faut-il pour autant lui imputer l’atrophie stylistique de Woo ? Pas sûr. Pour ne prendre que Le 13e guerrier et Seven swords, deux chefs-d’oeuvre épiques et fragmentaires, jamais la pulsation de la mise en scène n’y est affectée par les multiples coupes dans la narration. McTiernan et Tsui Hark en ressortent intacts. Ou presque. A côté, John Woo n’est plus que son propre fantôme dans Les 3 royaumes. Une enveloppe qui donne le change (très) bruyamment mais n’incarne plus rien. Plus rien d’autre que ses figures rebattues, ralentis à la pelle, premier degré extatique, colombes immaculée, quand sa singularité nichait ailleurs, au creux de sa liberté formelle, dans cette approche volatile du cinéma qui contrecarre son pompiérisme.

De la guerre à l’intime (Une Balle dans la tête), du ralenti opératique au plan-séquence en caméra portée (A toute épreuve), du grotesque au sublime (M:I-2), John Woo c’est un savant mélange de papillonnage et d’harmonie, une succession de prises de risques au service d’un unique souffle esthétique. Même du temps du controversé M:I-2, il n’était question que de ça, de fluide et d’excès, de gonflement soudain puis de contraction, tout ça réuni dans un seul et même flux. Il ne reste plus grand chose de ce style vibrionnant dans Les 3 royaumes. Tout juste un duel de cithares chinoises qui troue le premier tiers, et quelques éclats glanés au vol. Pour le reste, c’est du Woo amidonné. Sous contrôle. Comme si une part de lui-même était empêchée, contrite, gardée sous clés derrière l’ampleur de la reconstitution. On sentirait presque le cinéaste retenir sa respiration, ravaler ses effusions formelles, pour mieux se retrancher derrière le sage programmatisme de son épopée pur beurre. Même si Les 3 royaumes assure le spectacle, même si sa puissance brute nous venge des galipettes à l’aquarelle de Zhang Yimou, il faut bien l’avouer : John Woo est devenu chiant.