United red army avait tout d’un baroud d’honneur. Idéologique d’abord, tant le bilan dépressif de Wakamatsu (lire notre entretien) face aux exactions armées des milices révolutionnaires surpassait la reconstitution historique de leur naissance. Autobiographique, surtout : derrière ses plans, Wakamatsu se faisait critique de ses propres jeunes années de révolte. Ce Soldat Dieu amorce une nouvelle énergie pour le vieil anar, qui s’attaque cette fois-ci aux scandales occultés de la Guerre du Pacifique.

En 1940, alors que le Japon envahit allègrement la Chine, un soldat japonais est rapatrié du combat, amputé de tous ses membres. Célébré comme symbole divin de courage dans son village natal, l’homme-tronc s’avère un boulet innommable pour sa femme, contrainte de palier à ses besoins primaires et acquiescer à tous ses caprices. En transposant la trame d’un des sommets de la littérature japonaise (le Caterpillar d’Edogawa Ranpo) en plein conflit sino-japonais, Wakamatsu oriente sa guérilla contre les manœuvres hypocrites d’un gouvernement pour justifier l’effort de guerre. Faut-il en conclure, avec ce Soldat Dieu et ses râles antimilitaristes, à une redite déphasée du mythique Johnny got is gun ? Pour la deuxième fois consécutive, Wakamatsu préfère le naturalisme HD au magma de scories surréalistes qui agitaient son cinéma bis. Mais la reconstitution ne semble pas le souci principal (ni le point fort, avouons-le) du cinéaste. Au contraire : Le Soldat dieu ressemble davantage à une synthèse détournée, mais brillante, des marottes du Wakamatsu circa 60-70’s.

Orfèvre de la perversion domestiquée, Wakamatsu revient à ce qu’il filme le mieux : la répétition ad nauseam d’actes quotidiens, le présent perpétuel comme matrice de crise conjugale. Comme souvent, l’Histoire n’a qu’une valeur de simple toile de fond, soumise au réticule domestique. Certes, les invectives de Wakamatsu ont pris de l’âge : sa consternation a gagné en sérénité et perdu en trépignements de sale gosse. Signe d’une tempérance inédite, le personnage féminin principal (étonnante Shinobu Terajima) apporte même une ampleur romanesque inédite – chez Wakamatsu, les personnages se réduisent souvent à de pures idées – à une œuvre peu versée dans l’identification empathique.

Mais ce tournant contemporain, plus mainstream, n’annonce pas pour autant un gâtisme en phase terminale. Avec son personnage démembré, Wakamatsu fait vite oublier son postulat historique pour retrouver cette galerie de freaks familière à son cinéma. Le Soldat dieu a beau être un film « en costumes », sa charge transgressive résonne bien avec l’actuel. Toujours aussi efficace, cette hargne punk explose lors des ébats intimes entre la jeune femme et son homme-lombric, véritable scuds adressés aux archétypes d’un dogme conjugal intemporel. Le guérillero du pinku eiga peut paraître assagi. Sa croisade contre le conformisme, quant à elle, semble loin d’être terminée.