Ce n’est pas vraiment un scoop : Le Mécano de la General, en plus d’être l’exemple le plus abouti de l’esthétique du cinéaste Keaton, est l’un des plus beaux films du monde, c’est bête à claironner mais pourtant incontestable. Et on ne sait plus trop quoi en dire qui n’ait déjà été dit, quand on chante inlassablement ses louanges, quand on ne se remet pas, décidément, de la silhouette de Buster et des arabesques de son train, des mouvements ronds des roues de la loco et de la ligne des rails, ligne du cœur de Buster, méli-mélo sublime de trajectoires, de projectiles et de vitesses, tout cela à quoi ressemble Le Mécano. Geyser inépuisable d’où jaillissent beautés et traits de génie auquel une restauration numérique rend aujourd’hui hommage. Une peau neuve visuelle, mais pas seulement : c’est à Joe Hisaichi, compositeur fameux des B.O. de Miyazaki ou Kitano, qu’a été confié le relookage musical du film. Relookage n’est pas le terme adéquat : Hisaichi a plutôt proposé une relecture mélodique du film, créé une partition toute en empathie, tantôt légèrement distanciée, tantôt frissonnante, toujours dans le bon tempo, le bon mouvement. Peut-être un peu timide, mais alors à bon escient, toujours sur les bons rails d’une commune mélancolie. On se plaint parfois des opérations de ce genre lorsqu’elles visent des classiques (ressortie + lifting), il faut dire qu’une certaine audace n’est pas interdite (ici la participation de Hisaichi), du moment où tout est voué à la célébration de l’oeuvre (exit, donc, les opérations gadgets du genre la réédition de L’Exorciste, qui jouant sur des cadeaux bonus bidons, abîmait le film de Friedkin).
La sortie en salles du Mécano est couplée à une sortie DVD. Deux mots sur la galette, double disque où la B.O. d’origine est également disponible. Au menu : rien d’énorme, sinon quelques images d’archives du tournage du film, forcément émouvantes. Et, quand même The Railrodder, l’un des derniers films de Keaton, tourné un peu plus d’un an avant la mort du comédien/cinéaste. Film hommage un peu scolaire du Canadien Gerald Potterton (mais truffé de quelques gags assez somptueux), à l’époque où, dans la foulée de Film de Beckett, on commençait à le redécouvrir. Il faut voir aussi la sorte de making-of de The Railrodder, surtout pour admirer combien Buster semblait incarner dans sa chair l’Idée qui préside à toute son oeuvre. Peut-être aussi pour cette fête au village dont il est l’invité d’honneur, lui, le dieu du 7e art, perdu au milieu des dames chignonées et des notables bedonnants de l’Amérique profonde, et qui semble alors évoluer dans ce monde sixties avec la même mélancolie et la même sidérante beauté qu’entrecroisent tous ses films, et en premier lieu Le Mécano de la General.