Le Fantôme de Sarah Williams, c’est d’abord la surprise de retrouver Keith Gordon… derrière la caméra. Héros adolescent des films de Carpenter (Christine) et De Palma (Pulsions, Home movies), l’acteur avait disparu des écrans pour une excellente raison : son passage à la mise en scène. Depuis 1988, il a en effet dirigé quatre longs métrages, dont le dernier est apparemment le seul à avoir trouvé un distributeur chez nous. Pourtant, sans être un cinéaste de génie, Gordon fait preuve avec ce Fantôme… d’une indéniable sensibilité, d’un don réel pour les atmosphères douces et hypnotiques. Vraie-fausse histoire de revenants (raison pour laquelle on préférera le titre original –Réveiller les morts– à sa traduction bateau), le film raconte la relation amoureuse de Fielding Pierce (Billy Crudup, superbe) et Sarah Williams (Jennifer Connelly, qui, après Requiem for a dream, semble renouer avec le succès). Lui est un étudiant ambitieux qui se destine à une brillante carrière politique. Elle est plutôt une utopiste, une activiste tendance catho vouée corps et âme à de nobles causes. Alors que, malgré leurs divergences idéologiques, le couple nage dans le bonheur, Sarah trouve la mort dans un attentat. Huit ans plus tard, sur le point d’être élu sénateur, Fielding est plus que jamais obsédé par la jeune femme et reste persuadé qu’elle est toujours en vie.

Naviguant sans cesse entre le passé heureux et le présent troublé de son protagoniste, Le Fantôme… distille souvent une belle ambiance mélancolique, n’hésitant pas à se perdre dans les aléas de son récit pour mieux évoquer la confusion de Fielding, son désir maladif de ressentir Sarah, de la revoir en dépit de son évidente disparition. C’est lorsque Keith Gordon plonge dans cette quête un peu floue, abstraite et désordonnée, mais chargée d’une magnifique croyance sentimentale que son film parvient à nous toucher, comme s’il adoptait lui aussi une forme ectoplasmique : narration flottante, dialogues murmurés, musique planante, images mirages… La réalisation a beau être pauvre (photo et cadre indigents), l’ensemble fonctionne par la limpidité de son montage, l’affirmation de sa langueur. Hélas, Le Fantôme… n’est pas un film américain pour rien (la productrice n’est autre que Jodie Foster) et tout finit par devenir plus concret, vers une exaltation forcenée de la conscience politique (voire religieuse !) tandis que Sarah se pointe en chair et en os chez Fielding, une explication hasardeuse sous le bras. Incapable de soutenir son audace poétique jusqu’au bout, Keith Gordon aboutit à un objet attachant mais trop timoré pour convaincre.