Raoul est un jeune Parisien qui, depuis la fin de son premier amour, mène une vie de dandy noctambule, multipliant les conquêtes et consignant son expérience dans ses récits et poèmes. Un jour, par hasard, il croise la fille qu’il a aimé, et prend conscience de la futilité de son existence. Il entreprend alors de retomber amoureux, et son choix se fixe sur Jeanne, une jeune femme paumée et insaisissable, qu’il va s’efforcer d’aimer.

On avait laissé Civeyrac sur un deuxième film lyrique et tendre, Les Solitaires, belle histoire d’amour et de fantômes. Le Doux amour des hommes est d’une même facture délicate et littéraire, sachant que derrière ce très beau titre se cache une adaptation libre de l’oeuvre de Jean de Tinan (auteur de Penses-tu réussir et Un Document sur l’impuissance d’aimer), un dandy de la fin du siècle dernier mort à 24 ans, ami de Pierre Louys et de Léautaud. Civeyrac prend soin, cette fois, de situer les personnages dans un univers plus actuel, le Paris du XXIe siècle, dans un cercle d’étudiants bohèmes, épris de plaisir et de littérature -et selon l’auteur- « le plus fragile, le plus inutile et le plus séduisant fragment de la société ». Ce faisant, il réussit une étonnante synthèse entre ses sources littéraires et un univers visuel contemporain : le monde dans lequel évolue Raoul est imprégné d’un improbable luxe suranné -un café au style rétro, son repère et territoire de chasse- dont le pendant est un Paris hivernal et brumeux, spleenétique au possible. Bien plus que dans Les Solitaires, au style un peu poseur, l’atmosphère du Doux amour des hommes est riche d’une vision neuve de la ville, vibrante et poétique. Et le talent de Civeyrac ne s’arrête pas là, car les drames qui s’y déroulent, les êtres que l’on y croise, font corps avec cet univers.

Les femmes, en une superbe série de portraits, y ont la part belle. Raoul, séducteur, les attire quel que soit leur âge. On le surprend au lendemain d’une nuit d’amour (magnifiques scènes de lit, d’une intimité trompeuse et d’une tendresse ambiguë). Puis c’est Patricia, la gamine espiègle à qui il donne des cours, et sa mère, une veuve mélancolique qui entretient Raoul, moyennant quelques moments de tendresse et de séduction. Le film, d’une sensualité subtile, évoque leur volupté à la merci d’un désir capricieux et fragile. Puis, c’est la rencontre avec Jeanne, l’amour fait fiévreusement dans les cabines d’une piscine municipale, la naissance d’un idéal pour Raoul, qui veut aimer pour de bon, fatigué de ses badinages, et de « mimer » sa vie, en amour ou dans l’écriture. L’histoire est donc celle d’une difficile et tragique rédemption : Raoul est gagné par l’illusion d’aimer, et veut changer cette vie qu’il dépense avec insouciance, sans en ressentir le sens et la profondeur (« c’est profond, la vraie légèreté » lui répond pourtant une de ses amies). Le destin le punira sévèrement -sans que l’on sache si c’est de sa vie dissolue ou de la vanité d’aimer alors qu’il en est incapable.

Moins original dans son propos que dans sa structure et dans son écoulement, le récit de Civeyrac procède par immersion, restant toujours immanent aux personnages, aux lieux, aux ambiances grâce une direction d’acteurs (tous d’une grande justesse) étonnamment homogène. On regrette alors certains détails : une voix off dispensable, quelques scènes où la pose l’emporte encore sur le sentiment, et à y bien réfléchir, un sujet pauvre pour un récit qui ne tire sa force que de l’inspiration si neuve et si personnelle de Civeyrac. Mais c’est une bonne chose que Le Doux amour des hommes doive sa réussite aux seules qualités de cinéaste de son auteur, dont la singularité et la talent s’imposent ici avec évidence.