Gros buzz autour du Diable s’habille en Prada, adapté d’un best-seller, satire des milieux de la mode à travers un personnage de rédactrice en chef démoniaque. D’aucuns loueront les qualités d’interprétation de Meryl Streep en diva de la mode pétrie de vanité et d’horreur contenue, ou encore l’enfer médiéval de la société des grands couturiers. Mais enfin, le moins que l’on puisse attendre d’un tel sujet, c’est justement cela. Sans doute corseté par la Fox ou par l’angoisse de ne plus être invité aux futurs grands défilés, le pailleté David Frankel (Sex and the city) n’en rajoute pas. Au contraire, son film tend constamment à adoucir la violence de son pitch. D’accord, la mode est un monde de fous furieux, mais pour atteindre la perfection graphique et dessiner les tendances vestimentaires du monde occidental, on doit en passer par là. D’ailleurs ce diable est rapidement humain : victime du système lui aussi, diabolique par instinct de survie, finalement plus moral et légitime que n’importe quel parasite voulant sa place. C’est comme ça, nous dit le film avec un soupir mielleux, constat contrit, en un mot empathique, loin de la sature promise.

Dommage, car ça commence plutôt bien. Fraîchement diplômée de journalisme, Andréa accepte, faute de mieux, un boulot de larbin comme assistante d’une rédactrice en chef. La mode n’est pas tellement son truc, elle y voit plutôt un passeport alimentaire pour une gloire future. Pour l’identification, c’est le top. L’ouverture saisit parfaitement l’entretien d’embauche en ce qu’il contient d’enjeux multiples : empathie en marche forcée, projection d’un monde cauchemardesque où l’on se bat paradoxalement pour s’y faire une place. On retient ce plan superbe où la jeune femme s’intègre d’un pas fébrile dans le flot de travailleurs d’un grand ensemble de bureaux. On aurait adoré que le film garde cette distance d’observateur naturel et sensible plutôt que de se muer en parfait petit soldat. Du coup, la singularité du personnage vire au cynisme hollywoodien : de scanner malicieux, Andréa se profile en employée modèle, zélée et angélique dont la soumission n’est pas la moindre des qualités.

Pas une trace d’aigreur ni même de violence à l’encontre de l’employeur et du reste de la troupe. Le personnage est sans cesse respectueux, tout en courbettes, dressant l’apologie de la carotte et du bâton, érigeant la résignation en vertu ultime. Tout est là : l’initiation selon Frankell se trouve dans l’abandon de soi au profit d’un autre, l’aigreur et la révolte étant toujours sanctionnées par un mépris salvateur (les employées béquasses dont la moindre faiblesse est stigmatisée en symptôme de débilité profonde). Rêve droitier que ce Diable s’habille en Prada, confondant le travail bien fait avec l’esclavagisme moderne. C’est sûr, on ne grimpera jamais aux rideaux pour ce truc-là.