On savait les frères Coen mal en point depuis un bon moment. Si The Barber ou Intolérable cruauté tenaient encore la route, l’un pour sa dimension morbido-théorique, l’autre pour sa légèreté espiègle de surface, Ladykillers arrive à point nommé pour mettre en lumière ce que l’on pressentait : ce cinéma-là, derrière ses petits coups d’éclat de la dernière chance, semble au bout du rouleau. L’histoire, plaquée sur le classique british d’Alexander Mackendrick (1955), décrit les déboires d’une bande de gangsters pieds nickelés louant la cave d’une vieille mamie black pour creuser un tunnel menant directement au coffre-fort d’un casino voisin. Problème : la vieille est loin d’être aussi naïve que prévu, et sème la zizanie dans le programme des filous.

Ayant épuisé tous ses jokers, le cinéma des frères Coen atteint ici un point-limite par lequel tout ce qui faisait jusque là sa saveur -machinerie virtuose, fluidité des enchaînements, maîtrise de chaque détail- devient une coquille vide, inerte, un squelette de procédés complètement usés. L’intrigue tout d’abord : comme à l’habitude calibrée et millimétrée, elle ne parvient jamais s’enchanter, comme si quelque chose refusait de prendre. La faute à un roucoulement suffisant qui n’exploite que grossièrement les ressources comiques de chaque situation. L’interprétation ensuite : reposant tout entière sur Tom Hanks en homme de lettres raffiné et vicieux, elle prend bien vite l’allure d’une succession de performances de cabotin totalement artificielles. Il y a là un épuisement (pas d’envie, pas de nécessité, juste un étalage de richesses tournant à vide) qui tient autant de la paresse que du cynisme.

D’où cette impression d’un film raide et crispé, jamais prompt à décoller, où les situations s’enchaînent en une guirlande de séquences qui ne communiquent pas les unes entre elles. Il suffit de voir avec quelle fumisterie est réglée la dernière partie, élimination en chaîne de chacun des gangsters, bâclée en quelques minutes, pour se rendre compte à quel point les Coen récitent leur leçon sans ne plus y croire le moins du monde. On le sentait depuis pas mal de temps, mais ici ne se trouve même plus l’envie de faire illusion ou d’user d’écrans de fumée : juste une succession lâche et désenchantée de petits tours de force formels (les éternels cadres tirés au cordeau), de saillies et de gags prédécoupés, une manière de monter le film comme un petit cinéma en kit déployant sans grâce ses effets. De rebelles jouissifs ou d’adorables régressifs, les Coen sont devenus, lentement mais sûrement, Playmobils officiels de la comédie contemporaine.