Entre Mitterrand et l’Arménie, Robert Guediguian s’était écarté de ses préoccupations marseillaises sans ébaucher pour autant de révolution culturelle. Ce retour à l’Estaque, entre potes, s’annonce logique. Lady Jane, avec Ascaride, Meylan et Darroussin, est un polar à l’ancienne, un polar français où l’on discute plus qu’on ne tire, tendant plus à la perspective qu’à l’action proprement dite. Guédiguian ne s’en cache pas. Comme souvent chez lui, la légende se réduit à l’état de souvenirs ouvertement fantasmés. Pour preuve, l’âge d’or de ce trio de quinquas a trente ans d’âge. A l’époque, ils écoutaient les Stones et braquaient des banques pour égayer la vie du quartier. Mi-Robins des bois mi-Bonnie & Clyde avec l’accent pastaga. Aujourd’hui, la vie est moche ou dure. Petite commerçante d’Aix en Provence, Muriel alias Lady Jane routine sec lorsque son fils est kidnappé. Coup de fils aux vieux copains. L’un végète dans une baraque de pécheurs, l’autre passe la serpillière dans un strip bar. Foule sentimentale, regards perdus dans le temps d’où pointe un trou noir, l’assassinat par Muriel d’un bijoutier qui a mis un terme à l’aventure.

Ce qui est bien chez Guédiguian, c’est qu’il rentre dans le lard, tendance « décomplexé de l’émotionnel ». Lady Jane s’ouvre comme d’habitude sur un panoramique de Marseille, retourne à l’Estaque, avant de s’engouffrer dans le polar en quelques plans. Kidnapping expédié en trois messages téléphoniques, retrouvailles rugueuses, chaque séquence est un affrontement serein, habitée par une indéfectible foi en ses images. C’est parfois limite dans le lyrisme nostalgique (les flash-back) ou le mélo sitcomesque (des scènes de ménage avec Darroussin évoquant Plus belle la vie) mais ça tient la route, c’est le jeu, assumé sans maudire. Le film a quelques nœuds forts, associe l’action gériatrique (la scène de la gare, plus télévisuelle que néoréaliste, mais touchante) et son miroir réflectif, à la fois pierres angulaires et béquilles, l’un ne pouvant se soustraire totalement à l’autre. Ainsi articulé, le film creuse ses personnages à mesure qu’il démêle l’intrigue. Avec en filigrane, une réflexion soupesée sur la vengeance, affaire de souffrance, convention lourde mais incontournable qui écrase tout son sur passage, lyrisme, souvenirs et idéologie.

Du coup, sur la longueur, l’engourdissement de la mise en scène fait mouche, saisissant un no man’s land où chacun tête sa lose, voué à s’embourber tout seul dans la détresse de l’autre. Darroussin et Meylan en pincent à mort pour Ascaride qui ne sait pas leur rendre, claquemurée dans son drame perso. Politiquement et visuellement, c’est assez morbide. Guédiguian voit la conscience de classe comme une fatalité, viciée dès l’origine par l’intime. Mine de rien, une mini-révolution pour le cinéaste, qu’on a rarement senti aussi désabusé. Ce n’est pas la première fois qu’il regarde la dégradation des soixante-huitards mais il les rattrapait toujours via une poignée de fulgurances nostalgiques d’une pureté absolue (se souvenir de Darroussin dans Mon père est ingénieur). Dans Lady Jane, il croit s’y réfugier mais ne trouve que des illusions, écrasées par un narcissisme d’autant plus indécrottable qu’il est respectable. L’entreprise est louable mais le résultat laisse un poil sur sa faim, le cinéaste n’étant jamais aussi fort que lorsqu’il invoque ses idéaux. Pas assez abouti pour prétendre au chef d’œuvre classique du polar tragédien, mais suffisamment courageux pour laisser une trace. Pas si mal.