Devant La Vie sans principe, le théoricien fumeux pourra voir les champ-contrechamps à répétition comme transactions vaines, échanges stériles dans un monde rongé par l’acide de la récession. L’idée serait presque juste, tant To s’endort sur cette ligne draconienne, cumulant des confrontations lasses qui débouchent sur un constat sommaire : dans les sociétés contemporaines, on parle gros sous, on se flaire, on s’escroque, c’est la dure loi de la jungle. Un thriller choral sur la crise vue d’Asie, pourquoi pas, si seulement le projet servait à autre chose qu’à prouver la maturité d’écriture de l’auteur, bardé d’un sujet macroéconomique trop sérieux pour être honnête.

Depuis cinq ou dix ans, To s’égare dans son entreprise de resucée, passant du sous-Hollywood (Breaking news) au sous-nouvel Hollywood (Election 1 et 2), singeant même ses collègues hong-kongais (Mad detective, encéphalogramme du cerveau de Tsui Hark). Ce manège mimétique lui permet non seulement de se mesurer aux idoles, mais de disposer d’une toile de fond prête à l’emploi, sorte de cinéma d’ascenseur sur lequel se plaquent ses morceaux de bravoure. Le principe atteignait son apogée dans Vengeance, où le filmeur fanboy laissait tourner en pilote automatique une maestria melvillienne, qu’il pimentait de moments de grâce éthérés. Dans quelle cour To force-t-il cette fois son entrée ? On serait plutôt chez un Soderbergh flapi, entêté à filmer la partie pour le tout et multipliant les points de vue – avec un montage typiquement hong-kongais, toutefois. Mais il s’agit moins de rivaliser avec le wonderboy hollywoodien que de prouver, donc, une certaine maturité, suggérer une évolution plus cérébrale de son cinéma, si volontariste qu’elle n’a plus grand-chose d’authentique.

Un sujet aussi contemporain laissait attendre un portrait rentre-dedans de Hong Kong, un enregistrement fébrile du présent, servi par la griffe d’esthète qui faisait le sel de PTU. Mais la sobriété surjouée de To le cantonne à une urbanité contrefaite (comme le Macao de Vengeance), une spatialité semi-désincarnée (mieux aurait valu assumer jusqu’au bout la sécheresse des décors : au début du film, le ping-pong des regards dans les pâles officines bancaires engage une mécanicité étonnante). To fait toujours passer la charrue avant les boeufs, cherche l’éclat de styliste avant la mise en scène – cet éclat, ici, se fait certes plus discret qu’auparavant, mais reste un problème dans la mesure où il exagère dans l’autre sens : trop de verbe, de détours, de connotations suggestives (des reportages sur la faillite grecque bourdonnent dans quelques scènes, comme une prophétie un peu lourdaude), trop de sinuosités pour enfin n’obtenir, au lieu d’un constat sulfureux, qu’une jolie tarte à la crème.