Après avoir (involontairement) déclenché une polémique sanglante contre la presse, Patrice Leconte persiste et signe avec un film au romanesque pompeux et académique, ultra-produit et sur-financé, qui en temps de guerre avec la critique a quasiment valeur de provocation.

Il y a dans La Veuve de Saint-Pierre deux films. L’un est une écœurante superproduction franco-canadienne, qui ne nous épargne rien : stars en costumes, sujet « en or » et photo chiadée. L’autre, une histoire d’amour plutôt pas mal, avec une belle prestation de Daniel Auteuil. Pour ce qui est du premier, disons simplement que la quantité de moyens déployés, au regard du résultat et du nombre de choses dites, se passe de commentaires. La Veuve de Saint-Pierre prouve une fois de plus que le budget d’un film peut-être son pire ennemi. Partons de quelques phrases lues dans le dossier de presse, qui nous ont fait bondir. D’abord les producteurs, persuadés qu’ »il fallait les grands du cinéma français », se sont simplement dit : « Auteuil – Binoche, ça aurait de la gueule. » Quel flair ! Puis Leconte, se défendant hypocritement d’avoir fait un film d’époque : « L’époque est visuellement et graphiquement intéressante, mais les sentiments qui font vivre les personnages sont universels et intemporels. » Si, à en croire le réalisateur, le cadre historique de La Veuve de Saint-Pierre est accessoire, on peut donc refaire le budget du film. Exit la fastueuse reconstitution de Saint-Pierre au XIXe siècle (qui ne nous apprend rien), exit la description bidon de la bonne société des notables de l’île, exit les belles répliques de bateaux d’époque qui viennent parader au large de l’île et qu’il a fallu faire venir des Etats-Unis, juste pour faire joli.

Quant au scénario, il aurait lui aussi besoin d’être expurgé de nombreux éléments qui parasitent le vrai sujet du film. Un condamné à mort (Emir Kusturica, pourquoi ?) est remis entre les mains du capitaine (Daniel Auteuil) en attendant son exécution. La femme de ce dernier (Juliette Binoche) se prend d’amitié pour lui. Une femme agit par sens moral, un homme par amour et ça déclenche une tragédie. C’est tout. Donc, exit également l’éternelle histoire du criminel qui s’amende, devient un héros local, tout en attendant avec résignation l’heure de son exécution. Ces « derniers jours d’un condamné » n’ont aucun poids dramatique, mais apportent un suspense lourdingue à l’intrigue, et frisent la pire démagogie.

On pourra rétorquer que Leconte n’est arrivé que tardivement sur le film, remplaçant au pied levé Alain Corneau parti après quatre mois de tournage. Dans son registre, il est pourtant à l’aise : filmer l’amour, son innocence, ses excès, son intransigeance. L’amour est, dans les meilleurs films de Leconte, la seule vision intègre du monde, dont il met en lumière l’absurdité tragique par un sacrifice. Beau personnage que ce capitaine amoureux auquel Auteuil donne une force très romanesque. On en regrette d’autant plus la surcharge générale et gratuite du film, qui aurait très bien pu se contenter d’être un huis clos. Trop de spectacle pour si peu de cinéma…