D’Atom Egoyan, on n’attend plus rien après maintes tentatives de régénérescence. La Vérité nue ne déroge pas à cette triste règle. On y sent l’envie de passer diamétralement à autre chose sans renier pour autant les éléments d’un passé glorieux (période Adjuster / Exotica), cruel tiraillement qui leste ce nouveau film d’un poids mort. Comme si Egoyan avait conscience de ce qu’il savait faire de mieux sans s’en contenter, son ambition à vouloir vampiriser l’histoire du cinéma prenant toujours le dessus. En résulte une oeuvre malade, percluse de tumeurs qui étouffent peu à peu son identité, mais qui laisse échapper quelques fulgurances, râles funestes ou bouffées d’oxygène, on ne sait pas trop. A la rigueur, la seule -et maigre- définition qui s’impose à La Vérité nue serait celle de petit frère du Voyage de Félicia, film noir et film-musée lui aussi, à cheval entre la taxidermie et la sculpture sur cire.

L’histoire tricote du James Elroy par maillons. Dans les années 50, deux comiques télé, l’un gentleman, l’autre frapadingue (le formidable Kevin Bacon) acoquinés à la mafia sont trempés dans un mystérieux scandale qu’une journaliste tente de lever trente ans plus tard. Jeu de dupe évidemment, sur fond de puritanisme américain et des fantasmes décadents qui s’y nichent. Egoyan montre l’envers cauchemardesque du show bizz, soulignent les petites phrases racistes, débusque le cynisme de l’humanitaire médiatique (la mafia organise un téléthon qu’animent les deux compères). Le constat social n’est qu’un prétexte et d’ailleurs la mise en scène cautionnera à peu près tout : troubles moraux, vertiges érotiques, violente trivialité du milieu, n’importe quoi pourvu qu’on ait l’ivresse. Le problème, c’est qu’Egoyan ne boit pas toujours au même goulot. Impossible de cerner son rapport au monde au-delà de la nature corrosive du film noir, ni même son rapport au genre, où le figuratif chromé croise quelques séquences vidéo, poses sacrément empoussiérées depuis les années 90.

Au fond, Egoyan est aussi planqué que le secret de son intrigue. L’intérêt consiste donc à le retrouver, où plutôt à ce que lui-même emboîte l’imagerie populaire à quelques vieux dispositifs toujours bons pour le service. Une chasse à la « matière » s’engage. D’académisme en grands moments de trouble érotique, le cinéaste butine et recrache, intercale, triture, parasite. Le genre s’en trouve à peine bousculé bien que renaissent impeccablement les vestiges du passé. Une scène de sexe notamment, à deux doigts du copier-coller, mais d’une volupté et d’une précision renversantes : le far à paupière et les fifties décollent et fusionnent en un ballet fiévreux et sublime. Preuve manifeste du paradoxe Egoyan : le cincéaste n’est pas mort, mais son agonie réserve de telles lueurs que l’espoir l’emporte in extremis sur la pitié.