A propos du nouveau film de Tsai Ming-liang, on pourrait à peu de frais reprendre ce que nous disions du précédent, Goodbye, Dragon inn. Dire, encore et dans la foulée de Three times de Hou Hsiao-hsien, combien le cinéma taiwanais et ses deux figures majeures nous inquiètent, eux qui s’y souvent nous ont ravis. Bien sûr on les aime toujours, et comment s’en défaire, de tous ces films et de ce film-là aussi, si beau par moments (on y revient) ? Mais que Tsai (comme Hou) ne soit pas loin de tourner en rond, c’est une évidence. Et pourtant, comme disait un empêcheur de tourner en rond italien, et pourtant il tourne. Pas seulement lui, puisque dans l’immeuble où se déroule le film, s’est installée une équipe de cinéma. Genre : porno. Obédience : charcutière. Et la saveur de la pastèque ? Autour, dans la ville, la sécheresse fait rage. Sécheresse, donc pénurie d’eau, un comble chez Tsai, où d’ordinaire c’est la pluie qui enveloppe tout. Et le jus de pastèque qui intervient comme produit de substitution. Pas seulement de l’eau, d’ailleurs, mais aussi -c’est la même chose- intermédiaire sexuel, objet d’investissement libidinal détourné : première scène, une actrice déguisée en infirmière tient entre ses jambes une demi pastèque juteuse qu’un acteur (Lee Kang-sheng, l’éternel colibri mélancolique des films de Tsai) caresse puis pénètre frénétiquement, de la main.

La Saveur de la pastèque explore la relation, forcément mutique, entre le hardeur stakhanoviste et sa voisine. On pourrait, disait-on reprendre ici les mêmes reproches formulés à l’encontre de Goodbye, Dragon inn. Parlons plutôt de ce qui ici, comme là, échappe à la production sui generis de motifs désormais si parfaitement identifiés qu’ils en deviennent lassants. Ici, deux choses. D’abord les gags, à peu près un par scène (mais elles sont longues, les scènes). Gags qui ont à voir, comme la scène d’ouverture, avec la dépossession des objets de leur utilisation initiale (la pastèque), ou bien le renversement d’un ordre (les crabes, le strip tease dans l’ascenseur). Ou bien encore ce qui taraude ici Tsai, les organes génitaux vus comme vortex ou poignards ou bouche. Et on arrive à la scène finale, fellation mortelle, image extraordinaire au nom de laquelle on pardonne volontiers à Tsai le semi ronronnement de ses dernières productions. Car tout le film est fait pour arriver là : l’acteur tourne une scène hard sans quitter des yeux la voisine, qui observe de loin, puis vient enfouir son sexe dans sa bouche, crucifixion. Et n’y voyez pas quelque agression phallocrate, car tout le film tombe aux pieds de cette ultime scène où, parmi les ruines debout de la ville desséchée s’est donné, miracle, un baiser trempé.